Mardi, 14 janvier 2025
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    L’art d’Evergon

    Artiste, enseignant, activiste queer et icône culturelle, Evergon a été « stupéfait » de recevoir l’un des Prix d’excellence artistique des Prix du Gouverneur général 2023 en arts visuels et médiatiques.

    Au cours d’une carrière prestigieuse de plus de 50 ans, le Montréalais Evergon — né Albert Jay Lunt en 1946 et également connu sous les noms de ses alter ego Celluloso Evergoni, Egon Brut et Eve R. Gonzales — a été reconnu comme un avant-gardiste de l’expérimentation dans le domaine de la photographie et des médiums utilisant un objectif. Evergon a décrit sa pratique créative comme étant érotique et pornographique et son travail est un précurseur important de l’art contemporain homoérotique.

    Ses œuvres font partie de collections privées et institutionnelles à travers le monde et ont été présentées dans des expositions internationales, dont la rétrospective récente Evergon — Théâtres de l’intime, qui vient de se terminer au Musée national des beaux-arts du Québec. Ancien professeur à l’Université d’Ottawa, à l’Art Institute of Chicago et professeur agrégé de photographie à l’Université Concordia de Montréal, où il est professeur émérite, Evergon a contribué à une explosion d’intérêt pour la construction sociale du genre dans l’art au Canada, tout en explorant sa propre identité sexuelle.

    Nous nous sommes récemment entretenus avec lui.

    Tout d’abord, félicitations pour avoir remporté ce Prix d’excellence artistique.
    Comment avez-vous appris que vous alliez recevoir ce prix et quelle a été votre
    réaction ?

    Evergon : Eh bien, je suis un des chanceux qui a la COVID longue [dont la fatigue est le symptôme le plus fréquent, NDLR], donc je faisais la sieste quand ils m’ont appelé. Et la femme qui me contactait n’arrêtait pas de parler et de parler et de parler. Je n’étais pas certain de comprendre. À la fin, elle m’a posé la même question : « Qu’est-ce que ça fait ? » Et je lui ai répondu : « Il était temps ! » (Rires.) C’est une validation pour moi personnellement, mais aussi pour le mouvement gai. Mon sentiment […] est qu’une telle reconnaissance artistique était attendue depuis longtemps. C’est aussi le sentiment de la plupart des personnes qui m’ont écrit leurs félicitations.

    Y a-t-il eu un moment dans votre carrière où vous n’avez pas brisé les barrières sur les lignes de front queer ?
    Evergon : Je l’ai fait tout au long de ma carrière, parfois en criant, parfois non. Au début, je marchais avec tout le monde et je fabriquais des affiches et des bannières pour les gais d’Ottawa (Gays of Ottawa).

    Au cours de votre carrière, comment le monde a-t-il changé dans son appréciation des artistes queers et de l’art homoérotique ?
    Evergon : Je pense que c’est plus accepté par le grand public aujourd’hui. Je pense que cela a toujours été accepté par ceux qui sont dans le mouvement. Les gais et les queers ont accepté Tom of Finland très tôt, mais l’acceptation par le grand public n’est venue que plus tard. Je pense que c’est le cas la plupart du temps, il faut du temps au monde entier pour rattraper son retard.

    Trouvez-vous que nos gardiens culturels sont plus conservateurs que la population en général ?
    Evergon : Non. J’ai eu un soutien incroyable de la part de musées et de galeries privées. Toutes les personnes qui ont été impliquées dans ma carrière m’ont beaucoup soutenu. Le contrecoup est généralement eexprimé par une partie du grand public qui fait beaucoup de bruit. Une fois, j’ai demandé au poète John Giorno, première star de la Andy Warhol n’était pas plus ouvertement gai dans son travail, et John a répondu : « Parce qu’être gai était le baiser de la mort. »

    Le fait que vous êtes depuis longtemps hors du placard a-t-il été une entrave à votre carrière de quelque manière que ce soit ?
    Evergon : M’afficher comme gai a toujours été important pour moi et m’a probablement donné un accès privilégié à un public très spécial qui a toujours été là et qui m’a soutenu. Je ne peux que le formuler ainsi : s’accepter et être « vrai » avec soi-même fait en sorte qu’on est moins susceptible à de telles attaques.

    Comment était-ce pour vous de grandir en tant que jeune gai à Niagara ?
    Evergon : Je n’étais pas un adolescent gai. Mon frère l’était. Il était drag queen au secondaire et était en quelque sorte sexuellement actif dès l’âge de huit ans. Pour ma part, il m’a fallu jusqu’à l’âge de 25 ans pour m’accepter et sortir du placard. En partie parce que la représentation qu’on avait des gais à l’époque et les activités qu’on associait à la communauté n’étaient pas des activités qui m’intéressaient à premier abord.

    Comment était-ce d’avoir un petit frère gai ?
    Evergon : Terrorisant. Il était agressif, sexuellement agressif, et nous avions des conceptions très différentes sur ce qu’était la vie.

    Votre frère est mort de complications en lien avec le sida. Comment cela vous a-t-il affecté ?
    Evergon : Je vais avoir l’air extrêmement méchant ici, mais j’ai dansé dans la rue. J’ai essayé plusieurs fois d’être son ami, mais mes relations avec mon frère et mon père étaient à peu près nulles.

    Je me rends compte que c’est un sujet désagréable pour vous.
    Evergon : Non, c’est parfaitement correct que vous me posiez la question.

    Nous avons survécu au sida. Craignez-vous que les gens oublient aujourd’hui comment le sida a ravagé la communauté queer dans les années 80 et au début des années 90 ?
    Evergon : Oui, parce que nous avons maintenant des médicaments qui permettent une vie quasi normale. Mais nous avons reculé dans notre approche de prévention du sida et des comportements sociaux.

    Votre mère a été courageuse de poser nue pour votre portfolio Margaret et moi…
    Evergon : C’est ma mère qui m’a commandé ces œuvres. Je lui avais demandé d’être mon modèle pour ma thèse dans les années 70, mais elle avait alors refusé à cause de mon père. Pendant de nombreuses années, elle a vécu en le regrettant. Quand mon père est décédé, elle était dans une tout autre position et plus sûre d’elle. Et elle a insisté pour être
    photographiée nue.

    Elle vous faisait entièrement confiance.
    Evergon : Nous nous sommes fait confiance. C’est elle qui m’a gardé en vie, d’une certaine manière.

    Vous avez enseigné dans de nombreuses grandes institutions. Vous avez dit un jour : « Je ne suis pas un enseignant, mais un éveilleur ». Qu’est-ce que vous entendez par là ?
    Evergon : Je pense que beaucoup d’enseignants en arts dépendent de la technique.
    Je préfère amener les étudiants à accepter qui ils sont, quelles sont leurs forces et en quoi consistera leur travail pour le reste de leur vie. Je préférerais donner aux gens la force ou le droit de faire quelque chose plutôt que de simplement leur dire : « C’est comme ça que ça se passe ».

    Mon portfolio préféré est celui des Ramboys. D’où venait l’idée ?
    Evergon : Des Grecs. La référence aux pans et à des morceaux de la mythologie grecque. Je suis toujours retourné à l’histoire ou aux mythologies comme inspiration pour mes œuvres, mais en modernisant cette mythologie et en jouant avec elle.

    Êtes-vous un artiste qui se trouve à être gai ou un artiste gai ?
    Evergon : Pour moi, la politique gaie ou queer a toujours fait partie de mon travail.

    Notre société est obsédée par le vieillissement et la perte de poids, deux thèmes prédominants dans votre travail. Avez-vous déjà été obsédé par l’âge et le poids ?
    Evergon : J’aime être un homme gros. J’ai été gros presque toute ma vie. Je trouverais ça terrorisant d’être un homme de taille normale. C’est juste une chose personnelle. Maintenant, j’ai 77 ans et la vie est aussi belle que possible.

    À l’ère numérique, où les gens téléchargent chaque jour des millions de photos sur les réseaux sociaux, la photographie est-elle toujours importante ?
    Evergon : Oui, je pense que c’est la langue de la communication. Mais je pense aussi que les photographies sont de la fiction. Ce sont des documents, mais ce [n’est] pas la réalité.
    Mon travail a principalement porté sur la fiction ou le docu-fiction. Il y a là une pertinence différente.

    Vous êtes incroyablement prolifique, avec plus de 1 000 expositions individuelles et collectives à votre actif. Êtes-vous toujours très actif dans votre pratique ?
    Evergon : Je vais travailler jusqu’à ce que je tombe. Dans ma rétrospective de carrière au Musée national des beaux-arts du Québec, il y avait trois pièces de l’année dernière.

    Avez-vous un moment préféré de la journée pour travailler ?
    Evergon : Eh bien, à mon âge avancé, les heures de clarté semblent fonctionner le mieux.

    Sortez-vous beaucoup ces temps-ci ?
    Evergon : Pas autant que je le voudrais parce que j’ai un genou de sorti. J’ai une attelle et j’aurai probablement de nouvelles articulations du genou l’année prochaine. J’aimerais être plus actif. Ceci dit, je travaille toujours. En ce moment, nous parcourons des milliers de négatifs et d’images de la série Manscapes, et sur la possibilité d’en publier un livre après 2025.

    Comment vous sentez-vous lorsque les gens vous disent que vous êtes une légende
    vivante.

    Evergon : Je ne suis pas seulement une légende, je suis aussi un dinosaure ! (Rires.)

    Le travail d’Evergon est présenté au Musée d’art de Joliette dans le cadre de l’exposition
    collective L’atelier comme création. Histoires d’ateliers d’artistes au Québec jusqu’au 14 mai. 6

    INFOS | http://www.evergon.org
    https://www.museejoliette.org

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