Le 6 octobre 1894, on sonne à la porte d’une résidence cossue de Toronto. Quelques minutes plus tard, un homme blanc est tiré à bout portant et une femme noire avoue le crime. On pourrait penser que cette histoire est claire comme de l’eau de roche. Pourtant les apparences peuvent être trompeuses et un mensonge peut cacher plusieurs vérités ou… des impostures encore plus grandes !
La victime, Frank Westwood, a survécu quelques jours à l’attentat et on pourrait penser que son témoignage aurait disculpé Clara Ford. Après tout, il décrit son agresseur comme étant un homme d’âge moyen, relativement corpulent, vêtu d’un pardessus sombre, affublé d’un fedora et arborant une petite moustache. Bref, rien qui évoque une femme noire de 33 ans. Pourtant, et c’est là que le mystère s’épaissit, Clara présente des caractéristiques qui ne l’écartent pas du groupe des suspects.
Dans un premier temps, sa mère est caucasienne et son père afro descendant, ce qui fait en sorte que la couleur de sa peau peut prêter à interprétation. Ce détail serait cependant sans importance si ce n’était du fait qu’elle porte régulièrement des vêtements genrés masculins et qu’elle effectue de la personnification masculine sur des scènes de théâtre. Finalement, elle possède une arme à feu afin, dit-elle, de se protéger : une affirmation qui, bien que crédible, ne la rend que plus suspecte.
Lors du procès, elle prend la décision surprenante d’assurer sa propre défense : un fait qui peut sembler anodin, mais qui était exceptionnel à l’époque. De fait, elle est la deuxième personne et la première femme à le faire au Canada. Non seulement a-t-elle été acquittée, mais elle a réussi à convaincre un jury, composé de 12 hommes blancs, que ses aveux précédents avaient été obtenus sous la contrainte. Fait encore plus étonnant : alors même que le procès se déroulait, les journaux pavoisaient sans retenue sur ses pratiques « homosexuelles ».
Elle obtient ainsi l’insigne honneur d’être la première personne en Amérique du Nord à être associé à un tel qualificatif. Pourtant, malgré le scandale, elle réussit tout de même à en sortir victorieuse. Mais qui est exactement Clara Ford et que s’est-il réellement passé par cette sombre nuit d’octobre 1894 ? C’est à cette passionnante enquête que nous convie Carolyn Whitzman qui, non contente de plonger dans une affaire criminelle canadienne relativement peu connue, brosse également un portrait social étonnant.
Cette peinture sociale ne se cantonne d’ailleurs pas à Clara et à ses proches, mais s’intéresse également à la victime, aux forces de police, aux avocats et même aux juges. Qui plus est, elle évoque un suspect qui a sans doute été trop rapidement écarté et qui pourrait bien être
responsable du crime. Cette reconstitution a nécessité un travail titanesque puisque les sources sont rares et que les journaux rivalisaient alors d’originalité pour élaborer de toutes pièces des témoignages et des hypothèses, parfois rocambolesques, afin d’augmenter leur tirage.
Forte de ses recherches, l’autrice présente un portrait en teinte de gris d’une femme surprenante qui n’a pas hésité à affronter le racisme et la bigoterie de ses contemporains. Coupable ou innocente ? Le réquisitoire de Carolyn Whitzmam est éloquent, mais il n’en tient qu’à vous de vous joindre aux juré.e.s pour trancher.
INFOS | Clara at the Door with a Revolver : The Scandalous Black Suspect, the Exemplary White Son, and the Murder that Shocked Toronto / Carolyn Whitzman. Vancouver : On Point Press, 2023, 336 p.