Lundi, 7 octobre 2024
• • •
    Publicité

    Sonny Issues: Une procuration de paternité

    Sylvain et Julian ont continué de se fréquenter, bien que de manière discontinue : Julian trouve rarement le temps de souffler entre ses rôles de travailleur et de père. Sylvain ne s’en plaint pas trop. Ses nombreuses initiatives pour retrouver l’inspiration ont finalement porté fruit, et il s’est donc lancé avec entrain dans l’écriture de son prochain roman. L’art ne le garde pourtant occupé que par vagues, et aux périodes d’intense productivité s’enchainent des moments de désespérante langueur. Mais il sait qu’il fonctionne ainsi et il n’en conçoit donc pas trop d’anxiété.

    Lorsque son esprit n’est plus monopolisé par la sculpture de son intrigue et de ses personnages, il tend à revenir à Julian et à l’avenir qu’il leur imagine. Il sait qu’il a tendance à se bâtir des châteaux en Espagne – et même s’il est aussi doué pour les déconstruire que pour les construire, l’exercice de démontage ne se fait jamais sans une certaine tristesse. Il essaie donc de se retenir de trop errer de ce côté-là. Mais le beau visage de son amant ne peut faire autrement que de lui revenir en tête. Et il doit avouer que la perspective de finalement rencontrer sa fille Léanne lui plait bien aussi.

    Après une dizaine de rendez-vous, qu’ils passent en activités diverses au cours desquelles ils apprennent à se connaitre de fond en comble, ça y est : Julian lui apprend qu’il se sent enfin prêt à les présenter l’un à l’autre. «Tu es sûr? s’enquiert Sylvain. Je ne veux pas que tu te sentes pressé. Je dois avouer que j’ai hâte, mais ça doit se faire sur ton temps, pas sur le mien…» «Je suis sûr, répond fermement Julian. Tu as très bien fait ça et tu ne m’as mis aucune pression.» En effet, c’était toujours Julian qui avait fait les premiers pas – ou plutôt les premières paroles – à propos de sa fille; et Sylvain avait posé des questions qui démontraient son intérêt sans jamais mentionner de possibilité d’une quelconque intégration de sa propre personne dans la vie de la petite. «Mais je me suis posé la question à chaque fois qu’on s’est vus, et aujourd’hui, je me sens prêt. Je lui en parlais à elle aussi, d’ailleurs, pour prendre son pouls. Et elle est prête aussi.» 

    Sylvain ressent un pincement au cœur de savoir qu’à son insu, il occupait déjà une certaine place dans la vie de Léanne. Il se demande quel mot Julian a utilisé pour le désigner – «ami»? «fréquentation»? «copain»? Il se demande aussi ce que Léanne disait de lui. Il ne le saura probablement jamais… mais qu’importe? L’essentiel est que tant le père que la fille soient enfin prêts à lui ménager un espace à côté d’eux.

    Sylvain demande à Julian ce qu’il a en tête comme contexte de première rencontre. «Léanne adore les parcs, surtout ceux avec des jeux d’eau. Je me disais que tu pourrais nous accompagner à celui de notre quartier.» «Et on fait ça quand?» Julian sourit. «Ton enthousiasme est mignon. Allons pour le weekend prochain, si ça te va?» Ça lui va. Rendez-vous est donc pris pour le samedi d’après. Cette semaine-là, Sylvain a plus de difficulté que d’habitude à se concentrer sur l’écriture. Il passe donc davantage de temps à lire, à s’entrainer et à voir des amis. Quand le samedi arrive enfin, il est à la fois fébrile et étrangement calme. Surtout qu’il se dit que ce sera sans doute la circonstance de sa relation avec Julian qui fera que ça passera ou que ça cassera entre eux – considérant que s’il n’arrive pas à se montrer aussi bon beau-père qu’il l’espère, sa fréquentation ne tiendra surement pas à le faire progresser dans son cœur et dans sa famille. 

    Sa sérénité lui vient cependant de ce qu’il se dit que les dés sont déjà jetés. Ce qu’il pouvait être et faire pour développer son intérêt à exercer la fonction de parent ainsi que ses capacités parentales, il l’a déjà été et fait et ne peut pas être ou faire plus. Peut-être apprendra-t-il aujourd’hui qu’il ne tient pas tant à être beau-père qu’il l’imagine. Peut-être recommencera-t-il ensuite à fréquenter de jeunes éphèbes plutôt qu’un homme de son âge. Ce faisant, il ne ferait qu’accepter qui il est jusqu’au bout. Se forcer à agir autrement reviendrait à se soumettre à la norme hétérosexuelle, et constituerait donc un genre d’homophobie internalisée dont il s’est toujours dit qu’il était guéri.

    La rencontre lui confirme plutôt qu’il adore les enfants et qu’il tient à contribuer à en élever un. Ou du moins une, puisqu’il ne sait pas si le sentiment pourrait s’appliquer à d’autres qu’à Léanne. Quoiqu’il en soit, la petite le charme au-delà des mots. Sa candeur, son énergie, son rire : tout d’elle l’enchante. Il se dit que ce qu’elle retient de physique de Julian – le donneur de sperme de ses deux papas – y contribue sans doute. Il y a probablement aussi dans son attitude des comportements de l’autre papa, mais il ne le connait pas assez pour le savoir; et même si cette réflexion soulève chez lui un soupçon de jalousie, celle-ci est vite résolue par la joie de vivre de l’enfant.

    Léanne et Sylvain courent dans le parc et vont jouer dans l’eau tandis que Julian, content de voir qu’ils s’entendent comme larrons en foire, se prélasse au soleil en les observant. Puis ils reviennent et dinent avec le père, qui leur fait raconter ce qu’ils ont vécu ensemble même s’il y a assisté, rien que pour consolider ces précieux souvenirs. En après-midi, il se joint à eux, au plus grand plaisir de Sylvain, dont le cœur déborde de bonheur de pouvoir profiter en même temps du père qu’il connait et de la fille qu’il découvre. En fin de journée, Sylvain dit à Julian : «C’était génial, vraiment! Je ne sais pas comment te remercier de ce que tu m’as fait vivre.» Julian lui répond : «Efforce-toi de ne pas la blesser en disparaissant de nos vies : ce sera le meilleur remerciement.»

    Du même auteur

    SUR LE MÊME SUJET

    LAISSER UN COMMENTAIRE

    S'il vous plaît entrez votre commentaire!
    S'il vous plaît entrez votre nom ici

    Publicité

    Actualités

    Les plus consultés cette semaine

    Publicité