Véritable phénomène littéraire en France, la carrière de Nine Gorman a également le vent dans les voiles au Québec, notamment en raison d’une série jeunesse qui aborde de front les réalités LGBTQ sans sombrer dans le rose-bonbon trop souvent associé au genre.
Du 11 au 18 mai dernier, l’autrice était présente au Québec afin de faire la promotion du dernier-né d’une série de romans pour ados se déroulant à La Nouvelle-Orléans. Le premier titre, La nuit où les étoiles se sont éteintes, publié en 2021, met en scène Finn, un jeune homme qui tente d’oublier sa misère à travers les combats clandestins, la drogue et l’alcool. Amené à fréquenter une nouvelle école secondaire, il se lie d’amitié avec Nate, Kurt, Jaeger, ainsi que Keena, une jeune fille qui n’a pas la langue dans sa poche. On s’en doute, le passé de Finn cache de terribles secrets, mais il est également déchiré par des sentiments inattendus qu’il développe pour Nate et qui viennent éveiller des douleurs anciennes.
Le second opus, Le jour où le soleil ne s’est pas levé se déroule dans la même ligne du temps que le titre précédent, mais suit le personnage de Nate qui fait face au harcèlement de plusieurs des élèves de l’école. Pour ajouter à son malheur, son père est d’un naturel conservateur et tente d’ignorer que son fils souhaite étudier en art dramatique : lui annoncer qu’il est attiré par les garçons est donc d’autant plus impensable. Nate s’astreint à demeurer le plus discret possible, mais cette stratégie sera difficile à maintenir après l’arrivée de Finn, qui, bien qu’encore plus paumé, lui semble auréolé d’un irrésistible mystère. La suite peut sembler prévisible, voire presque télégraphiée, mais la force de Nine Gorman et de la co-autrice Marie Alhinho est justement de savoir contrer les clichés propres au genre et de présenter un récit qui sait demeurer à la fois engageant et surprenant.
À l’encontre des adolescents Ivory Neige que l’on retrouve habituellement dans la littérature jeunesse, leurs personnages traversent des épreuves réellement douloureuses qui semblent presque insurmontables. Leur sexualité est également tangible, de même que leur consommation d’alcool et de drogues récréatives. Loin d’être l’idéal bien sage trop souvent dépeint, il est facile de croire en la réalité de leurs actions et des sentiments qui les habitent.
Paru en janvier 2024, Ces prières que je fais dans le noir plonge de son côté dans la réalité de Jaeger qui semblait jusqu’alors très privilégiée. Son futur, dont les moindres éléments étaient planifiés par des parents ultrareligieux, lui échappe alors que son père disparaît inexplicablement et que sa mère échappe à une tentative de suicide. C’est l’effondrement progressif de tous ses points de repère et, malgré la présence rassurante de ses amis, chaque jour semble amener un nouveau lot de trahisons et de remises en question.
À l’image de plusieurs autres autrices naviguant dans des romans aux thèmes queers — Violette Banks, pour les sagas familiales et Alessandra Hazzard, pour l’homoérotisme — les deux autrices présentent un univers où chaque nouveau volume navigue sur les eaux des précédents, permettant ainsi d’explorer un personnage précis et de développer un univers encore plus riche. Le procédé relève de la haute voltige puisqu’il peut facilement être redondant, mais il est ici accompli de main de maître, chaque nouvel opus se révélant tout aussi passionnant que le précédent.
On peut d’ailleurs se demander comment le personnage de Keena sera abordé dans une éventuelle suite : son comportement est à ce point toxique, à la limite du harcèlement physique et psychologique, qu’il ne peut sans doute que cacher un profond traumatisme ou annoncer une remise en question déchirante. Mais seul l’avenir nous le dira ! Vous l’aurez par ailleurs compris, comme l’ont déjà souligné de nombreux lecteurs et lectrices, ces romans s’inscrivent au diapason de toute la gamme des émotions : du rire le plus franc aux grands sanglots !
INFOS | Nine Gorman & Marie Alhinho
• La nuit où les étoiles se sont éteintes. Paris : Albin Michel, 2021, 495 p.
• Le jour où le soleil ne s’est plus levé. Paris : Albin Michel, 2022, 526 p.
• Ces prières que je fais dans le noir. Paris : Albin Michel, 2024, 618 p.