Mardi, 3 décembre 2024
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    Afficher nos couleurs (et toutes les autres)

    En ce mois de la Fierté à Montréal, je me questionne sur la pertinence des défilés, ou du moins des éléments qui constituent les défilés de la Fierté.

    Cela fait plus de 20 ans que j’assiste assidûment au défilé à Montréal. Par le passé, j’ai défilé avec Extravaganza, Les Nanas, Le Réseau des lesbiennes du Québec et, bien sûr, Fugues. Je suis une habituée. J’ai vu des changements au fil des ans. De la place qu’on accorde aux organismes communautaires, aux mégas chars allégoriques des grandes compagnies comme Trojan ou des banques qui veulent démontrer leur inclusivité. Les organisateurs ont essuyé des critiques « capitalistes » liées à l’embourgeoisement du défilé. Et pour cause…

    D’ailleurs, plus la cause gagne du terrain et de la visibilité médiatique, voire du glamour en étant en vogue socialement, plus les richissimes veulent s’y associer. Sans compter que le milieu communautaire LGBTQ+ devient de plus en plus un agent de promotion des valeurs, qu’un agent de défense des droits. Il y a encore des droits à défendre, certes, le lobby prend une ampleur considérable et non négligeable au sein d’une société dominée par les « qu’en-dira-t-on » des médias sociaux. Ainsi, proposer un défilé haut en couleur, et afficher ses couleurs devient plus que jamais payant. Est-ce que le défilé LGBTQ+ a toujours sa place ? Selon moi, oui, car il y a encore des LGBTQ+-phobies au quotidien.

    Exemple banal. En juin dernier, j’ai assisté au concert de Sarah McLachlan à la Place Bell. Superbe spectacle où l’auteure-compositrice-interprète canadienne a décidé de performer une chanson en l’honneur du Pride Month pour les LGBTQ+. La Place Bell s’est mise à applaudir. Derrière moi, une dame a scandé : « Ben moi je ne vais certainement pas applaudir pour ça ! » Stupéfaite, je me suis retournée pour la dévisager et là elle m’a littéralement fait un doigt d’honneur ! Je suis partie à rire en lui disant « Bravo ! », puis en l’applaudissant pour souligner le ridicule de la situation. Tout le monde autour la dévisageait. Elle a continué à déblatérer, pis mon amie lui a dit : « Shut up ». Au terme du concert, alors qu’on quittait la salle, deux hommes (manifestement gais) nous ont remerciées d’être intervenues, tout en s’insurgeant d’un tel comportement en 2024. Parce que, oui, des gens et des comportements homophobes, ça existe encore en 2024 ! Selon moi, le défilé de la Fierté devrait travailler en ce sens : contrer les LGBTQ-phobies.

    En revanche, j’ai parfois l’impression que certains défilés de la Fierté sont devenus des fourre-tout de l’inclusivité sociale. Comme si toutes les causes ou tous les comportements dits marginaux de la planète devaient s’y retrouver. J’étais à San Francisco récemment et j’ai été surprise de voir que ce sont des gens avec des pancartes « Trans solidarity with Palestine » qui ont ouvert la marche. Honnêtement, sans négliger les guerres (de religion et de territoire) qui sévissent au Moyen-Orient (et en soulignant ma profonde empathie pour les civils qui souffrent de ces guerres), la visibilité offerte par l’ouverture des marches est extrêmement importante et devrait se concentrer sur les réalités LGBTQ+. « Pride means fight back LGBTQ solidarity with Palestine ». Je veux bien, mais quel message de solidarité envoyons-nous aux citoyens LGBTQ+ israéliens au sujet de la solidarité de nos communautés, lorsque la plus grosse Fierté en Amérique du Nord ouvre sa parade de la sorte ? Cette marche n’est-elle pas censée investir l’espace public afin de présenter fièrement les réalités et les accomplissements des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, etc., peu importe leur religion, ethnicité, âge, classe sociale, etc. ? 

    À Toronto, des manifestants de la Coalition Against Pinkwashing, un groupe d’activistes queers et trans qui appuie des causes à la carte, ont demandé à la Pride de Toronto « de rompre ses liens avec des entreprises qui, selon eux, profitent de l’offensive israélienne à Gaza », avec des bannières affichant «No Pride in genocide», «Stop pinkwashing», scandant «Free Palestine». Si cette année, leur cause était la Palestine, elle se voyait annexée à d’autres, telle que la sempiternelle question de la présence policière. Au terme de discussions, les organisateurs du défilé ont décidé de l’annuler par peur de représailles sur le plan de la sécurité, pénalisant du même coup des militants LGBTQ+ et des milliers de spectateurs et de spectatrices de leur défilé annuel.

    À noter que des activistes propalestiniens ont également fait arrêter la marche au défilé de New York. On se souviendra des revendications de Black Lives Matters en 2016 qui avaient sporadiquement arrêté le défilé de Toronto, avant qu’il reprenne, après la signature de leurs revendications. Néanmoins, je me questionne sur cette hiérarchie de revendications externes à la cause LGBTQ+, qui finalement viennent capter l’attention médiatique et/ou éloigner les regards de la cause qu’on défend, ou tout simplement bousiller la fête ! Car l’idée d’un défilé LGBTQ+ c’est avant tout de présenter les réalités LGBTQ+ afin qu’elles soient davantage acceptées dans l’espace public. N’avons-nous plus assez de revendications LGBTQ+ pour soutenir un tel évènement ? 

    On parle ici de manifestants propalestiniens, mais nous pourrions aussi parler de manifestants pour la crise du logement, le climat, le végétarisme, telle ou telle croyance politique ou religieuse, etc., qui viendraient s’annexer au défilé de la Fierté. D’ailleurs vous avez peut-être entendu parler des MAP signifiant « Minor-Attracted People » (des personnes attirées par des mineurs qui prétendent ne pas « agir » sur leur attirance envers les enfants), qui recherchent l’acceptation et espèrent trouver une place au sein de la communauté LGBTQ+ ? Il me semble que l’erronée association homosexualité-pédophilie a déjà causé ses torts à la communauté dans l’histoire… 

    Bien sûr, toutes les causes et les comportements ont droit à une présence/un débat dans l’espace public, mais le défilé de la Fierté LGBTQ+ n’est, selon moi, pas l’endroit. D’ailleurs, lors du défilé de San Francisco, certaines démonstrations graphiques de préférences sexuelles n’avaient pas leur place dans un défilé de la Fierté à ciel ouvert : dans The Fetish Zone (18+, mais visible de tous), on pouvait voir un homme dans une piscine gonflable d’urine où les participants étaient encouragés à lui faire pipi dessus. D’autres chars présentaient des participants (parfois nus) se faisant fesser, fouetter et imitant des actes sexuels (fellation), en public. Quel est le lien entre la scatophilie, le BDSM et la grossière indécence (tous des comportements qui se retrouvent également chez les hétéros) et l’acception LGBTQ+ ?

    Si les défilés LGBTQ+ sont devenus l’occasion de donner une tribune à maintes causes et entreprises étant en faveur de l’inclusivité et de l’acceptation sociale, il n’en demeure pas moins que ces dernières ne doivent pas nuire à la visibilité de l’évènement et des populations représentées. Les défilés LGBTQ+ sont avant tout des lieux de célébrations et de revendications des droits LGBTQ+. Si vous pensez que tous ces droits sont acquis, il ne faudrait surtout pas les tenir pour acquis !

    Pourquoi défilez-vous ? Pourquoi prenez-vous part à cet évènement, que ce soit en marchant ou comme spectateur ou spectatrice ? Il est primordial de se questionner et de le faire pour les bonnes raisons. 

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