Au 16e siècle, Lady Jane Grey occupe le trône d’Angleterre pendant un temps record de neuf jours, mais Amazon Prime a décidé de s’écarter de l’histoire officielle pour présenter une version alternative et iconoclaste. Et quoi de mieux que d’y ajouter des métamorphes et une petite révolution féministe et queer ?
Lady Jane Grey (Emily Bader) souhaiterait bien pouvoir se consacrer à l’herboristerie, par exemple trouver un remède à la vaginite, mais elle est affligée d’un handicap qu’on dit insurmontable : elle est une femme ! En raison de sa « condition », elle est réduite au rang de propriété ou, au mieux, de monnaie d’échange au regard des hommes et des jeux politiques de sa mère, Lady Frances Grey (Anna Chancellor), qui traverse la vie avec toute la subtilité d’un dix roues. C’est contre son gré qu’elle se retrouve mariée à Guildford Dudley (Edward Bluemel) qui se révèle être un Édian, un être humain doté de la capacité de se transformer en animal. Les Édians étant considérés comme des dégénérés, leur existence est alors interdite par une loi promulguée par le peu dégourdi roi Édouard VI (Jordan Peters), qui leur interdit de se mêler à la vie publique.
Celui-ci est par ailleurs affligé d’un mal terrible (être empoisonné par sa sœur) et fait rapidement face à une crise existentielle lorsqu’il est pour la première fois confronté au corps nu d’une femme et réalise que la marchandise offerte ne l’intéresse pas : il amorce alors une recherche identitaire et charnelle. Bien que les amours du roi ne constituent qu’une intrigue secondaire, la série multiplie les références où l’édianisme est clairement présenté comme une métaphore de l’homosexualité.
Au hasard, on peut citer l’opposition entre Authentiques (les hétérosexuels purs et durs) et Édians (la communauté queer), le fait que cet identitaire se révèle à l’adolescence, la recherche d’un remède avec des références claires aux tortures infligées dans le cadre de thérapie d’aversion (ou de conversion), l’institutionnalisation des « malades », la surprise de découvrir que chacun connait un Édian puisque ces êtres sont présents partout, etc.
On pourrait penser qu’un tel sujet amènerait un ton lugubre, mais il n’en est rien ! Entre mariages forcés, testaments truqués, trahisons, meurtres, complots à gogo et crises d’hystérie, la série multiplie les situations désopilantes et les personnages hauts en couleur. C’est notamment le cas de la princesse Marie Tudor (Kate O’Flynn) et Lord Seymour (Dominic Cooper) qui pratiquent le BDSM avec frénésie et fomentent des coups d’État entre deux séances de fessées. Chacune des apparitions de ces vilains qu’on adore détester est jubilatoire à souhait ! Par ailleurs, un narrateur omniscient et sarcastique interrompt ponctuellement l’action pour en présenter les enjeux et qualifier, sur un ton sentencieux, certains personnages de « gros cave » ou « d’innocente ».
On s’en doute, la série se place sous l’égide d’un humour décalé et absurde qui permet à la productrice, Gemma Burgess, de brosser une critique irrévérencieuse des travers sociaux actuels et de mettre en scène des personnages forts qui décident de prendre en main leur destin. Comment Lady Jane pourra-t-elle se sortir des combines de Marie Tudor et de Lord Seymour ? Édouard VI rencontrera-t-il l’amour ? Verra-t-on la fin de l’oppression des Édians ? Et surtout, la très aigrie Lady Frances Grey succombera-t-elle aux avances de Lord Stan Dudley, de 30 ans son cadet ? Mystère ! Bien que l’intrigue se déroule il y a 450 ans, les dialogues combinent le classisme de l’anglais soigné propre aux séries historiques avec des expressions bien modernes.
Dans la même veine, l’excellent doublage français réalisé au Québec truffe un très noble français normatif d’une pléthore de sacres et d’expressions relâchées, intentionnellement irrévérencieuses ou libidineuses : – « Vous êtes de la graine de chevalerie » – « Pardon, mais êtes-vous en train de visualiser ma graine ? » ; « L’amour, c’est d’la marde » ; – « C’est quoi ton plus grand talent, maman ? » – « La fellation ». On l’aura compris, la série est irrésistible et peut d’ailleurs se targuer d’avoir récolté une note de 91 % sur Rotten Tomatoes. On ne peut donc que souhaiter que Prime Video donne le feu vert à une seconde saison.
INFOS | Les huit épisodes de My Lady Jane (Lady Jeanne) sont disponibles en anglais, dans un excellent doublage français, réalisé au Québec, et un second réalisé en France sur Prime Video.