Étant donné que des vedettes montantes telles que Timothée Chalamet, Paul Mescal et Josh O’Connor ont décollé grâce à des personnages LGBTQ+, la question n’est pas sans incidence…
Après la sortie au printemps de la série historico-sexy Mary & George, Nicholas Galitzine prend la parole. Ce natif de Londres s’est fait un nom avec une interprétation queer assez risquée, celle d’un adolescent cachant sa bisexualité dans The Craft: Legacy (2020), avant son rôle très remarqué dans la romance gay Red, White & Royal Bluel’an dernier. Dans Mary & George, il intègre la monarchie et séduit un roi. Devenu l’idole des médias sociaux — on l’aura vu ensuite faire la cour à Hathaway dans The Idea of You — le temps est venu pour Nicholas Galitzine de faire son coming-out, sauce 2024. « Je m’identifie comme hétéro, mais j’ai pris part à d’incroyables histoires queers », déclare-t-il à l’édition britannique de GQ. « J’ai parfois eu des doutes, par peur de prendre la place de quelqu’un d’autre, je me suis sans doute senti coupable. »
Chaque battage médiatique rend plus épineuse la question de savoir qui a le droit de jouer quoi. Avant les réseaux sociaux, le sujet était loin de déclencher autant de controverses. Mais depuis dix ans, les voix s’élèvent pour qu’Hollywood apporte des réponses à son sombre bilan en matière d’intégration des acteurs LGBTQ+ et contre l’appropriation culturelle.
En 2018, Darren Criss remporte un Emmy pour son rôle de tueur en série gai dans la série The Assassination of Gianni Versace: American Crime Story, puis jure de ne plus jouer de personnages queers : « Je refuse d’être un hétéro de plus à prendre le rôle d’un homme gai.»
Sean Penn n’est pas d’accord
En juin dernier, Sean Penn s’insurgeait dans le New York Times, contre le climat ambiant en déclarant qu’il lui serait impossible, aujourd’hui, d’interpréter un pionnier flamboyant tel qu’Harvey Milk, rôle pour lequel il avait pourtant décroché l’Oscar en 2008. « L’époque va trop loin. Ces initiatives simplistes à des problématiques réelles, sont une atteinte à l’imagination humaine. »
Connu pour son rôle de célibataire hétéro dans How I Met Your Mother, Neil Patrick Harris avouait récemment : « Je crois qu’il y a quelque chose d’assez sexy dans le fait de caster un acteur hétéro pour jouer un personnage gai, à condition qu’il se donne à fond. »
De son côté, Billy Eichner (l’auteur et l’acteur de BROS) rappelle que les acteurs LGBTQ+ ne se voient pas offrir autant d’opportunités que les acteurs hétéros, et exige que l’industrie « corrige ce déséquilibre. » Pendant que des députés américains (relativement) âgés parlent de nuance, des acteurs en plein essor, tels que Nicholas Galitzine, décollent souvent grâce à des rôles d’hommes LGBTQ+.
Si on n’adore pas l’idée que des artistes hétéros viennent perturber les carrières déjà compliquées de leurs homologues gais, on n’aimerait pas forcément l’idée de n’avoir jamais pu avoir la possibilité d’un Timothée Chalamet dans Call Me by Your Name, d’unBarry Keoghan dans Saltburn, d’un Paul Mescal dans All of Us Strangers, ou d’un Josh O’Connor dans God’s Own Country et Challengers.
Les acteurs hétéros dominent néanmoins les castings
Si la célébrité masculine évolue, c’est que le jeune public est plus attaché à la notion de fluidité — et parce que les acteurs eux-mêmes se sentent plus à l’aise dans cet entre-deux.
Après un siècle de héros hollywoodiens résolument hétéros, une époque où s’affirmer comme gai était synonyme de fin de carrière, quel pas en avant. Rock Hudson s’est érigé en idole tout en menant une vie secrète en tant que gai ; il fut outé dans la presse juste avant de mourir des suites du sida, en 1985.
Il n’y a pas si longtemps, Richard Chamberlain, ex-vedette du petit écran, admettait : «Je pensais qu’être gai serait une catastrophe pour moi en termes de carrière». De sorte qu’il ne déclara publiquement son homosexualité qu’en 2003, à 70 ans.
Récemment, Matt Bomer révélait, quant à lui, qu’il avait été choisi pour jouer Superman dans un blockbuster il y a une vingtaine d’années, mais que le rôle lui avait été retiré après qu’il fut outé.
Pendant ce temps, les acteurs hétéros n’ont eu de cesse de trouver le succès dans des rôles gais. Depuis 2002, plus de 40 artistes ont été nommés aux Oscars pour des interprétations de personnages queers ; mais c’est seulement cette année, avec Colman Domingo (Rustin), que le premier homme affichant publiquement son homosexualité a reçu une récompense.
On en revient au déséquilibre évoqué par Billy Eichner. Si quelques exceptions viennent confirmer la règle, Hollywood n’a encore pas travaillé en profondeur pour offrir un espace aux artistes LGBTQ+.
Quant aux acteurs qui ont révélé leur homosexualité il y a longtemps, tels que Colman Domingo ou Andrew Scott, ils commencent tout juste à avoir le vent en poupe après de longues décennies dans l’industrie.
Depuis quelques années on entends des acteurs et des activistes qui proposent le chemin du casting «authentique», qui reste, ils le reconnaissent volontiers, un terrain miné. Si on cherche une règle pure et dure à laquelle se raccrocher, on peut citer celle-ci, rappelée par de nombreuses organisations LGBTQ+, dont notamment GLAAD : des acteurs cisgenres pour incarner des personnes transgenres est comparable au blackface, c’est strictement interdit.
Scarlett Johansson en a fait l’expérience en 2018 quand elle a été choisie pour interpréter un homme trans dans le film Rub & Tug, et a dû se retirer du projet suite à la controverse qu’il avait suscitée. Les hommes cisgenre, qui ont joué des personnes trans, comme Matt Bomer et Eddie Redmayne, se sont depuis excusés, déclarant qu’à présent, qu’ils sont mieux informés sur ce sujet, ils n’accepteraient plus de tels rôles.
Toutefois…
Mais une fois énoncée cette ligne rouge, on peut aussi souligner que l’essence du métier d’acteur consiste à tout jouer avec conviction et empathie. On a vu les plus grands s’y essayer, nous donner des émotions. J’ai grandi en regardant Six Feet Under et The Wire et j’ai puisé beaucoup de force dans l’interprétation de personnages gais par les stars hétéros que sont Michael C. Hall et le regretté Michael K. Williams, alors que je s’éveillait ma propre sexualité. Je ne donnerais ces rôles à personne d’autre. J’étais adolescent et j’ignorais qu’ils étaient hétéros, je m’en foutais. Et probablement qu’ils préfèraient qu’il en soit ainsi. La plupart des acteurs désirent rester mystérieux. On connaît la chanson : moins on en sait sur eux, plus ils peuvent disparaître pour se fondre dans leur rôle. Mais avec une attention plus forte portée — à juste titre — à la question de la représentation, la vie personnelle est inévitablement passée au crible.
Certains acteurs établis, dont on a des raisons de penser qu’ils sont hétéros, refusent de se voir purement et simplement apposer cette étiquette. Ils défendent leur droit à la métamorphose tout en rappelant que personne ne connaît toute leur histoire, ni ne sait de quoi sont faits leurs désirs. «Si mon vécu est très éloigné de celui de Phil Burbank, cela ne veut pas dire qu’on ne se rejoint pas sur certains points», avait confié Benedict Cumberbatch en entrevue, au sujet de son rôle de cowboy gay dans The Power of the Dog. «Mais là, on entrerait sur le terrain de ma vie privée. »
En début d’année, Tom Hollander, qui a joué un escroc gay dans The White Lotus et Truman Capote dans la dernière saison de Feud, a exprimé son propre dilemme quant à cette notion de représentation. « Les gens continuent de me solliciter pour ce genre de rôle, parce qu’apparemment, quand je joue ces personnages, je suis crédible », a-t-il dit. Et d’ajouter : « J’ai une sexualité assez libérale, qui m’a amené à vivre différentes expériences, ce qui ne regarde personne ».
Cate Blanchett, nommée aux Oscars pour avoir incarné des femmes lesbiennes dans Carol et Tár, déclarait en entrevue l’an dernier : « Je dois vraiment me concentrer très fort pour essayer de comprendre les gens à qui ça pose un problème — je ne parle pas la même langue qu’eux. »
Certes, mais être jeune et queer à Hollywood, reste, comme ça l’était pour les générations précédentes, un désavantage certain. Les hommes de la nouvelle génération qui sont au premier plan, dont Paul Mescal et Timothée Chalamet, sont hétéros et blancs. Ce sont des acteurs merveilleux, qui ont contribué à raconter des histoires LGBTQ+ subtiles et torrides — la solution n’est pas de les mettre à la porte. La solution est de reconnaître leur travail tout en se confrontant à la réalité : la queerness flamboyante reste une affaire de niche, elle est un obstacle à la masculinité dominante, et il faut mettre un terme à cette situation.
Rappelons-nous des mots de Rupert Everett, dans son interview au The Guardian il y a plus de dix ans, qui évoquait ses compatriotes Colin Firth et Hugh Grant. «Si j’avais été hétéro ? Je ferais les choses que font Colin et Hugh, je suppose», disait-il. Nicholas Galitzine et Paul Mescal sont peut-être plus libres aujourd’hui d’embrasser des hommes dans des films et des séries, mais Hollywood ne peut pas se cacher du fait que c’est, en partie, plus facile parce qu’ils sont hétéros.
David Canfield
Initialement publié en anglais dans Vanity Fair US