Parti d’une recherche aux Archives gaies du Québec (AGQ), François Bellemare, qui est l’auteur entre autres de La renaissance de l’Interlope (Les éditions Sémaphores, 2022), lance un appel aux gens qui ont vécu la transition du Village de l’ouest vers celui de l’est, dans la fin des années 1970 et le début des années 1980. Avec le concours des Archives, François Bellemare aimerait coucher sur vidéo les témoignages de personnes qui ont vécu aussi des événements comme la descente du bar Truxx qui a mené, tranquillement, au déménagement du « Village » là où il se trouve en ce moment. Une éventuelle exposition sur cette période historique de la communauté LGBTQ+ aura lieu prochainement dans les locaux des AGQ.
Le 21 octobre 1977, la police effectue une violente descente au bar Truxx, situé sur la rue
Stanley, 200 hommes gais y sont arrêtés manu militari. La plupart sont accusés de s’être trouvés dans une « maison de débauche ». Une cinquantaine de policiers sont lourdement armés. « La police a utilisé des mitraillettes empruntées à l’armée canadienne et qui dataient de la Deuxième Guerre mondiale », souligne François Bellemare. C’est dire comment la police de Montréal traitait la communauté LGBT à ce moment-là et la voyait telle une menace.
À l’époque, l’Association pour les droits des gais du Québec (ADGQ) monte aux barricades pour dénoncer ce raid policier. Une manifestation est vite organisée au centre-ville et plus de 2000 personnes y participeront pour dénoncer la répression dont fait l’objet la communauté gaie à l’époque. Et ce n’est pas la seule descente de police effectuée dans ces années-là contre des établissements de la communauté. Il y a eu aussi la descente du Buds, dans la nuit du 1er au 2 juin 1984, soit quelques semaines à peine après la création du magazine Fugues, alors que 188 personnes seront arrêtées dans ce bar de la rue Stanley également. Le lendemain, plus de 600 personnes participent à une nouvelle manifestation contre la répression policière.
François Bellemare a mené des recherches aux Archives pour comprendre comment s’est effectué ce déplacement de l’ouest, où se trouvaient la plupart des clubs de l’époque qui logeaient dans des édifices sur les rues Stanley, Peel, MacKay, etc. (le LimeLight/Le Jardin, le Truxx, le Buds, etc.), vers l’est, ce qui était connu à ce moment-là comme le quartier Saint-Jacques (du même nom que le district municipal). « Il y a ici plusieurs étapes, évoque François Bellemare. D’abord, il y a les répressions policières et sociales envers la communauté LGBTQ+ et qui ont duré au moins huit décennies jusqu’au 20e siècle. Deuxièmement, face à la répression, il y a la montée d’associations militantes homosexuelles réclamant plus de droits et la nécessité d’avoir des lieux sécuritaires “d’homosocialisation”, comme on dit en espagnol. Mais face à ce militantisme, il y a en retour une nouvelle répression qui s’exerce. »
L’auteur rappelle ici que la fin du Village de l’ouest clôturait tout le chapitre des cabarets où on retrouvait des spectacles, de la musique, des performances, etc. « La communauté s’y retrouvait durant plusieurs décennies parce que c’étaient aussi des lieux de rencontres et ils ont subsisté longtemps. Même depuis l’époque de la prohibition aux États-Unis, où l’alcool était interdit, Montréal était devenu l’eldorado autant pour les artistes que pour les touristes », dit-il. Si la plupart des bars et clubs se trouvaient dans l’ouest du centre-ville, les loyers commerciaux étaient bien chers déjà à cette époque-là. D’un autre côté, le quartier Saint-Jacques était en « déperdition », note François Bellemare, les anciens commerces se mouraient.
« Mais une chose va changer dans ce secteur-là : c’est l’arrivée de l’UQAM, une université plus à “gauche”, plus ouverte aux réalités gaies et lesbiennes, et qui s’installe dans le quartier, continue-t-il. Il y avait dans le quartier beaucoup de locaux disponibles et bon marché. Au début, sans qu’il y ait quoi que ce soit de planifié et de façon réellement spontanée, quelques bars gais et peu d’établissements lesbiens vont aller vers l’est, vers ce quartier-là et occuper des locaux vides. […] » Priape sera un des premiers à s’y loger, lui qui va souffler ses 50 bougies cette année ! Des restaurants, des clubs de danseurs, des établissements comme La Boîte en Haut (d’Yvon Jussaume, 1975-1993) viennent tranquillement ouvrir leurs portes. « Le mot s’est passé de venir dans l’est. Les magazines Attitude et Ça s’attrape, un média lesbien, vont afficher de petits plans du quartier, avec les rues et les commerces qu’on y retrouve. Dans une éventuelle exposition, on va montrer ces plans agrandis de ce qui sera appelé le “Village de l’Est”. Cette exposition sera une occasion pour les vieilles générations de se remémorer une partie de leur jeunesse et pour les jeunes de connaître ce que cela a été, le Village à ses tout débuts », note François Bellemare qui est aussi l’auteur de Christiania, une cité au cœur du Danemark (Éditions Angalé, 2021).
Manifestement, de l’avis même de ce passionné d’histoire, les AGQ regorgent de matériel imprimé sur le début du Village. Mais on aimerait aussi que des gens puissent témoigner de cette époque-là, de ce glissement de l’ouest vers l’est : comment a-t-il été vécu ? Les gens ont-ils été des clients des clubs et cabarets dans ces deux parties de la ville ? Y a-t-il eu des hommes qui ont subi cette violence policière? Ont-ils eux-mêmes été des commerçants peut-être ?
« On veut que les gens nous contactent, qu’ils puissent témoigner dans de courtes vidéos qui resteront aux Archives et qui pourront être consultées dans le futur, explique-t-il. Ce sera aussi en complément à l’exposition, mais il n’y a pas d’échéance de manière précise. » Toutefois le temps presse, car certains ont probablement déjà atteint un âge vénérable, alors leurs témoignages sur cette période sont très précieux. On pourra simplement contacter les Archives gaies du Québec : 514-287-9987.
« Les Archives appuient ce projet parce qu’il met en évidence une partie de tout le travail effectué depuis 40 ans à recueillir de la documentation sur le Village sous plusieurs formes, Village dont l’histoire s’écrit depuis plusieurs décennies. Nous sommes très heureux de pouvoir accueillir cette exposition éventuellement dans nos locaux et de faire connaître ainsi un pan de l’histoire du Village », de commenter Pierre Pilotte, le coordonnateur des AGQ.
INFOS | Archives gaies du Québec, 1000, rue Atateken, bureau 201-A, Montréal.
514-287-9987 ou https://agq.qc.ca ou [email protected]