Mardi, 17 septembre 2024
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    L’amour enseignant

    L’automne est déjà bien avancé, et avec lui se sont réinstallées les idées de couple parmi les simples amants. Après tout, l’hiver est moins propice aux rencontres, et le passer à deux sous la couette est bien plus agréable que de dormir en solo. C’est tout spécialement le cas d’Osman et d’Antoine, amis avec bénéfices depuis maintenant plusieurs mois, qui n’ont jamais discuté de la possibilité de pousser plus loin leur relation. Ils ont pourtant commencé à se voir de plus en plus souvent et se sont habitués à la présence de l’autre au point d’agir presque comme un couple. Ils font précéder leurs baises de soupers qu’ils cuisinent ensemble, ils les font suivre de films qu’ils écoutent en s’étreignant sur le sofa de l’un ou de l’autre. Osman a même présenté Antoine à son cercle d’amis proches – quoiqu’en précisant bien qu’ils ne sont pas en couple. Après l’évènement, on lui a demandé pourquoi, et il a balayé la question du revers de la main.

    Or la conjonction de deux phénomènes fait de plus en plus pression sur lui en ce sens. D’abord, cette volonté de se trouver un partenaire pour l’hiver. Ensuite, le fait que le travail soit beaucoup moins prenant dans sa classe vu l’automne avancé. Il s’est habitué à ses élèves, qu’il connait maintenant très bien; ses cours sont bien rodés et il considère les rendre avec un grand doigté; il arrive même à se garder du temps pour la formation continue. Il pourrait toujours pousser plus loin dans une direction ou dans l’autre pour être un encore meilleur enseignant, mais le jeu en vaut-il vraiment la chandelle? Ne pourrait-il pas faire un meilleur usage de son temps et de son énergie? Ce qu’il lui en reste, il l’investit en premier lieu dans l’entrainement, pour se remettre en forme et rester concurrentiel sur le marché des corps gais – sait-on jamais… Il lui en reste cependant encore dont il ne sait que faire. Il en attribue donc de plus en plus à Antoine, qui les lui rend bien. Au point qu’il leur faille expliciter les choses. «Qu’est-ce qu’on est, au juste, donc?»

    demande un jour Antoine à Osman de but en blanc. «Euh… je ne sais pas trop. On n’a jamais vraiment pris le temps de se définir.» «Peut-être qu’il faudrait le faire. Parce que j’ai commencé à me questionner sur mes critères pour décider de ce que je faisais de mon temps, et que pour ça, je dois savoir l’importance que tu accordes à notre relation. Si on continue de n’être que des amis avec bénéfices, je suis à l’aise avec ça, mais je te verrai peut-être un peu moins souvent que maintenant. Je garderais mon temps pour mes élèves – je n’en ai jamais assez pour m’améliorer et les aider encore plus.» Osman se sent visé dans sa motivation professionnelle. «Moi aussi, je me dédie à fond aux miens. Je me suis aussi demandé si je pouvais leur prendre du temps pour t’en donner.»

    «Ah bon? C’est intéressant, ça. Je pense que la plupart des gens n’y verraient pas tant des vases communicants. Tu peux m’expliquer pourquoi tu le fais, toi?» Osman est déstabilisé par la question. «Je le vois juste comme un choix entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle, et je me demande ce qui est le plus équilibré et ce qui me rendrait le plus heureux.» «Ah», dit seulement Antoine. «Tu as l’air déçu», répond Osman. «C’est juste que j’ai eu une autre réflexion que celle-là, et que j’espérais qu’on ait eu la même.» «Ça me ferait plaisir d’entendre la tienne, et qui sait, peut-être que ça me convaincra!»

    «Au début, je me disais que la passion de transmettre était plus forte que celle de chercher mon propre confort, donc que mes élèves devraient nécessairement avoir la priorité. Par contre, ensuite, j’ai fait repasser mes dernières relations dans ma tête, et je me suis dit qu’une relation de couple, c’était aussi une forme d’apprentissage. En couple, on se fait évoluer bien plus que dans tout autre type de relation. Un peu parce qu’il faut s’adapter à l’autre, mais surtout par ce qu’il peut nous inspirer. Un couple qui va bien, c’est un incitatif à donner le meilleur de soi-même, pour l’autre et pour soi.» Osman hausse un sourcil. «Donc tu considères que même dans une relation, tu restes enseignant? Est-ce que c’est pas prendre une trop grande responsabilité envers un autre adulte? Et il me semble y avoir un enjeu éthique à le faire sans le consentement du partenaire…» «Je pense qu’en la matière, le consentement est toujours tacite, et que seulement certains l’explicitent. Et je ne considère pas que le poids repose sur moi, mais vraiment sur la relation. C’est l’amour qui enseigne à tous les deux, plutôt que les deux qui enseignent.»

    «L’idée est intéressante, concède Osman. J’ai déjà vécu de ces relations qui nous transforment, et je vois que mes amis en couple de longue date continuent de le faire. Enfin, surtout les gais – je pense qu’ils se prennent moins pour acquis que les hétéros, d’où une pression à l’adaptation mutuelle. C’est souvent un des facteurs qui contribuent le plus à la formation continue personnelle, si l’expression a du sens.» «Je trouve qu’elle en a beaucoup, enchaine Antoine avec un sourire. Je l’aime bien. Je crois que je vais la réutiliser. Ça me forcera aussi à réenvisager la place de la formation continue professionnelle dans mon horaire.» «Tant mieux! s’exclame Osman avec un sourire. Et pour en revenir à ce que nous sommes l’un pour l’autre…»

    «Ah oui! excuse-moi, je nous ai fait dériver du sujet pas mal. Tout ça pour dire que je veux bien qu’on se crée plus d’occasions de coévoluer. Sans obligation ni pression, mais naturellement, par la force des choses.» «Je suis bien d’accord.» «Donc, pour qu’on soit surs les deux, ça veut dire qu’on est officiellement en couple?» «En effet.» «Excellent! Bon succès pour la suite, partenaire de coenseignement-coapprentissage!»

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