Michel.le a travaillé comme drag queen à travers le Québec durant des années avant de débuter sa transition de genre pour vivre pleinement son identité de femme. Puis, un événement familial l’a poussée à retourner à une vie d’homme jusqu’à sa mort. Son frère Joey Lespérance a écrit son histoire, leur histoire, et il la jouera en solo sur la scène du théâtre La Licorne du 17 au 21 septembre prochain.
Comment est apparue l’envie de présenter une pièce de théâtre sur votre histoire ?
Joey Lespérance : L’élément déclencheur a été le décès de Michel.le survenu dans des
circonstances tragiques, le 4 décembre 2005. J’ai tout de suite su que j’allais raconter cette histoire. Ça fait plus de 30 ans que je fais de la scène et j’ai toujours joué les mots des autres, mais cette histoire-là est tellement singulière que je devais la raconter. En résumé, Michel.le était mon frère, elle est devenue ma sœur et elle est redevenue mon frère jusqu’à son décès. Cela dit, mon frère Michel n’a jamais vraiment existé. Ma sœur était l’âme de Michel.le.
Dans quel contexte avez-vous grandi ?
Joey Lespérance : Nous sommes des enfants des années 1960 et 1970, élevé.e.s dans un monde hétéronormatif très macho. En tant qu’enfants queers, on savait qu’on était différent.e.s, mais on n’en parlait pas, car on vivait dans un milieu qui voulait taire cette identité-là et qui ne voulait pas de nous.
Où viviez-vous ?
Joey Lespérance : Nous sommes né.e.s à Montréal, mais nous avons été élevé.e.s à Rosemère en banlieue. Très jeunes, nous faisions des spectacles ensemble. Ma spécialité était l’humour ; j’imitais tout le monde. Michel.le, c’était le drag. Nous donnions des shows dans la cour de notre maison devant les voisins et la famille. Peu à peu, ça s’est su que Michel.le faisait du drag, en empruntant les robes et les talons hauts de notre mère. À l’école, nous étions donc les tapettes. Mais dans le quartier, nous avions des amis et Michel.le avait un public qui l’appréciait.
Tu es devenu comédien à Vancouver. Elle a travaillé en tant que drag queen. Quel a été son parcours ?
Joey Lespérance : Son nom de drag était Candy Mitchels. Au début des années 1980, Michel.le donnait beaucoup de spectacles au club 1681 qui n’existe plus. Aujourd’hui, c’est un autre bar sur la rue Sainte-Catherine à cette adresse. Michel.le donnait aussi des shows au Café Cléopâtre, à Québec, Sherbrooke, Shawinigan.
À quel moment Michelle a-t-elle fait son coming trans ?
Joey Lespérance : En 1990, alors que je vivais déjà à Vancouver, ma sœur me dit qu’elle était en transition hormonale, qu’elle avait commencé les sessions d’épilation et les rendez-vous chez le psy pour la préparer à l’opération « finale ». Puis, il est arrivé un événement familial qui a poussé Michel.le à retourner à sa vie d’homme malgré elle. C’est là que l’histoire prend une tournure assez triste.
Dans la pièce, quel point de vue adoptes-tu ?
Joey Lespérance : Je suis seul sur scène et je joue à la fois Michel.le, ma mère, mon père et moi-même. Je suis le narrateur de l’histoire et je deviens tous ces personnages-là. Le public a donc accès à plusieurs points de vue.
Les personnes sensibles aux enjeux queers savent qu’on parle souvent des personnes trans sans leur donner la parole dans les sphères politique, publique et artistique. Comment as-tu trouvé la légitimité de faire ce projet ?
Joey Lespérance : Merci de poser la question qui est importante. D’abord, je raconte notre histoire : celle de deux enfants queers. Son histoire fait partie de mon histoire à moi aussi. Ensuite, en anglais on dit « not about us without us ». Si je ne prends pas la position de raconter notre histoire, personne ne va raconter la sienne et je refuse que Michel.le devienne une autre personne trans oubliée. Je suis le seul qui peut faire ce que je fais et je le fais avec amour et respect. Cela dit, je suis allé chercher des perspectives extérieures sur la question. J’ai fait lire mon texte à une femme trans et à une personne non binaire. Je voulais leur avis sur les nuances du genre qui évoluent à travers le temps pour m’assurer que le public suive l’histoire. Je leur ai également demandé si elles étaient
offensé.e.s que je raconte cette histoire et si je devrais changer certaines choses. J’ai porté une grande
attention à leur opinion, tout en assumant mon rôle d’auteur queer.
Quel était ton rapport à l’écriture avant de créer cette première pièce ?
Joey Lespérance : J’ai participé à plusieurs créations en tant qu’interprète qui contribuait au développement de nouveaux textes. Par le passé, j’ai aussi écrit un spectacle clownesque avec une artiste à Vancouver. Avec la pièce Michel.le, c’était la première fois que je m’abandonnais à l’écriture en solo.
Je me suis donc entouré de spécialistes pour m’accompagner dans la dramaturgie et la structure du texte. Ils m’ont posé plusieurs questions très pertinentes. Néanmoins, ça reste vertigineux d’écrire ma première pièce de théâtre. Je l’ai vomi cette pièce-là. Le texte est autant une lettre d’amour à ma sœur qu’une réaction de colère à l’injustice qui nous est arrivée.
INFOS | https://theatrelalicorne.com
Une production du Théâtre la Seizième présentée par La Manufacture
Texte et interprétation Joey Lespérance / Mise en scène Esther Duquette