Quand j’ai su que Fierté Montréal réfléchissait à l’emplacement de ses futures festivités, j’ai imaginé cinq endroits potentiels : le parc Jean-Drapeau, la place Émilie-Gamelin, le Parc olympique, le Quartier des spectacles et le parc des Faubourgs.
Je dois préciser que je ne me suis jamais plaint du déménagement de la Pride au pied du Stade. Probablement parce que je fais partie des milliers de queers qui vivent dans Hochelag’, que je surnomme affectueusement le off Village. Comme je vis à seulement dix minutes de l’intersection Pie-IX et Pierre-de-Coubertin, je n’ai qu’à faire quelques pas chassés pour assister aux spectacles ou zieuter (j’veux dire danser) au T-Dance. Je peux ensuite me rendre dans les bars du Village en quinze minutes de marche-métro-marche.
Est-ce que l’Esplanade du Parc olympique est l’endroit le plus chaleureux du monde ? Absolument pas. La surabondance de béton fait mal à l’âme. Mais le caractère majestueux du stade donne de la gueule à nos célébrations et j’apprécie l’immense espace à notre disposition pour bouger et respirer un peu.
On ne pouvait malheureusement pas en dire autant au parc des Faubourgs et à Émilie-Gamelin. Il suffit d’avoir assisté à un show de drags queens internationales, un soir sans pluie, pour se sentir comme du bétail dans un enclos. Si vous osiez vous déplacer, vous risquiez d’être écrasé.e par la foule ou de vous faire taponner par les astis de queers en manque qui n’ont pas encore compris le consentement.
Bien entendu, Émilie-Gamelin est à un saut de puce des commerces du Village, alors que le parc des Faubourgs se trouve à quelques minutes à pied. Cela dit, le manque d’espace lancerait un drôle de signal aux queers et aux alié.e.s de ce monde : déso-pas-déso, on manque de place, vous reviendrez l’an prochain !
Si des milliers de personnes ont pris l’habitude de prendre le métro entre le Stade olympique et les stations Papineau, Beaudry et Berri-UQAM, j’imagine qu’on pourrait faire de même en sortant au parc Jean-Drapeau, qui a l’habitude d’accueillir d’immenses foules durant Osheaga, ÎleSoniq et LASSO. Cependant, un conflit d’horaire pointe à l’horizon : les gros shows de Fierté se sont tenus du 8 au 11 août 2024, en même temps que le festival de musique électro. Quand on sait que ÎleSoniq a attiré 55 000 personnes l’été dernier, je doute que l’organisation du parc Jean-Drapeau veuille se départir de cet événement pour nous faire de la place.
Arrêtons-nous maintenant à la place des Festivals, un espace conçu pour favoriser la tenue de spectacles à grand déploiement. En juin et juillet, les Francos, le Festival de jazz et Juste pour rire (maintenant COMEDIHA – Montréal) attirent des centaines de milliers de personnes dans le secteur. Un des grands avantages du Quartier des spectacles est de se trouver à un kilomètre du Village. La Ville pourrait piétonniser la rue Sainte-Catherine entre De Bleury et Papineau pendant quelques jours et le secteur deviendrait le quartier général de Fierté Montréal : les spectacles de moyenne taille se tiendraient à Émilie-Gamelin (comme c’est déjà le cas) et les plus gros à la Place des festivals.
Cette haute concentration d’activités permettrait aux queers d’occuper le Village avant, pendant et après les activités, en dépensant davantage dans les commerces du Village qui pâtissent depuis des années des problèmes sociaux qui font les manchettes. Et contrairement au Parc olympique, qui satisfait surtout les Hochelagayyys, le Quartier des spectacles et le Village deviendraient un pôle plus accessible pour les participant.e.s qui viennent des autres quartiers, des banlieues et des régions.
Il reste néanmoins trois bémols quand j’essaie de prédire le futur.
Un : le festival Présence autochtone occupe déjà le Quartier des spectacles pendant les journées les plus achalandées de Fierté Montréal. Et que j’en vois pas un.e écrire qu’on a juste à les tasser, en agissant comme des colonisateurs de bas étage. Je prône plutôt pour un dialogue afin de trouver les meilleures dates pour que tout le monde puisse cohabiter et s’épanouir.
Deux : il me semble plus « facile » de sécuriser l’Esplanade du Parc olympique en surveillant les entrées terrestres, alors que le Quartier des spectacles exige — en plus de surveiller les entrées sur la rue — d’avoir à l’œil les attaques qui pourraient venir des nombreux gratte-ciels entourant les lieux. Dans un contexte où les personnes queers sont de plus en plus insultées, violentées et assassinées, on doit se poser la question. Trois : même si les personnes LGBTQ+ se donnent de plus en plus le droit d’agir librement, se sentiront-elles à l’aise de porter des vêtements extravagants, de danser à en perdre la tête et d’irradier la queerness au centre-ville, entourées de straights ? La question est dérangeante, mais nécessaire. À ce sujet, je crois que Fierté Montréal est le moment idéal pour apprendre à faire exploser des arcs-en-ciel de paillettes et donner des frenchs mouillés dans la face des queerphobes, avant de continuer sur notre lancée le reste de l’année. Alors, on va fêter à côté du Stade, de la Place des Arts, de la Biosphère, du vieux Archambault ou de l’avenue De Lorimier ?