Audacieux et innovant, ouvert et rassembleur, le Festival du nouveau cinéma met toute sa fougue au service du 7e art depuis 1971. Reconnu pour l’excellence de sa programmation, le festival se donne comme mandat de soutenir les voix émergentes afin de faire connaître leur originalité et leur diversité, tout en diffusant les œuvres majeures du cinéma contemporain. Cette année encore, le Festival du Nouveau cinéma offrira aux spectateurs plus de 300 œuvres de 60 pays différents. Le « nouveau » s’incarnant en trois temps : nouveaux créateurs, nouvelles approches et nouvelles technologies, le tout assorti de conférences, événements spéciaux et soirées festives.
La 53e édition du FNC débutera par la présentation en ouverture du film Une langue universelle de Matthew Rankin qui imagine une bulle iranienne dans les Prairies canadiennes, un univers parallèle décalé, bien souvent hilarant, mais aussi étrangement méditatif et foncièrement émouvant. Son « hallucination autobiographique » rend un vibrant hommage au cinéma iranien de Kiarostami et Makhmalbaf avec une intelligence toujours créative et un charme irrésistible. Une fois de plus, les thématiques queers traverseront plusieurs films. Voici d’ailleurs un survol commenté des films que nous avons identifiés dans la programmation.
The Visitor
Tout d’abord Fugues présentera le plus réçent film de Bruce LaBruce qui propose une nouvelle bombe inspirée du mythique Teorema de Pier Paolo Pasolini. Débarqué d’une valise au bord de la Tamise, un extra-terrestre particulièrement magnétique et sculptural infiltre une famille bourgeoise déjantée, séduisant chaque membre et leur faisant vivre des épiphanies charnelles les transformant à jamais. Complètement explicite à coup de fluides de l’espace, déjouant les codes binaires du genre, furieusement politique avec ses slogans aussi hilarants que virulents, The Visitor est un percutant doigt d’honneur envoyé au capitalisme, au classisme, au racisme, au colonialisme et à l’intolérance en général, célébrant le pouvoir d’une sexualité libérée.
Emilia Pérez
Autre œuvre très attendue, Emilia Pérez de Jacques Audiard, roule à un rythme d’enfer. Rita, avocate surqualifiée exploitée par un cabinet corrompu, entrevoit la chance d’une nouvelle vie en aidant un redoutable chef de cartel à devenir la femme qu’il a toujours été. Crime, passion, rédemption, identité, le tout en forme de comédie musicale survitaminée : le dernier Jacques Audiard est une véritable explosion de genres, de clameurs et d’émotions. L’ensemble est porté par des performances époustouflantes de Zoe Saldaña, Selena Gomez, Adriana Paz et Karla Sofía Gascón, toutes récompensées par le Prix d’interprétation féminine à Cannes.
I’m Not Everything I Want to Be
La singularité de ce film de Klára Tasovská réside dans sa forme : un diaporama de photos magnifiques de l’artiste sur lesquelles se superpose une narration intime, tel un journal personnel, le tout sublimé par le travail sonore. Libuše Jarcovjáková a connu le socialisme des années 60, le Printemps de Prague, Berlin coupé en deux, le Japon des années 80 et la chute de l’Union soviétique. Surnommée « la Nan Goldin tchécoslovaque », elle n’a eu de cesse de documenter sa vie et celle de ses pairs, les rebelles, les queers, les non conformes. Ce récit initiatique d’émancipation et de découverte de soi, présenté avec introspection et vulnérabilité, nous plonge au cœur de cultures de la marge d’où émanent des questionnements sur l’identité et la liberté.
Kyuka: Before Summer’s End
Dans Kyuka: Before Summer’s End, un père célibataire et ses jumeaux partent en voilier profiter de l’île de Poros. La rencontre inattendue de leur mère bouleverse le séjour. Avec ce premier long métrage, le réalisateur grec Kostis Charamountanis s’immerge dans le film de famille pour créer une œuvre pleine de surprises. Le duo peu conventionnel formé par Elsa et Konstantinos fait des étincelles grâce au naturel des interprètes, sublimé par une bande-son énergique. Mais c’est principalement dans son montage particulièrement libre, prenant le contrôle de la situation, que s’exprime toute l’originalité de ce voyage ensoleillé et créatif tenant tant du théâtre de l’absurde que de l’expérimentation poétique.
Most People Die on Sundays
Après avoir été quitté par son compagnon, David, la trentaine, revient à contrecœur dans son Argentine natale pour assister aux funérailles de son oncle… dans cette comédie douce-amère aux accents autobiographiques. C’est l’occasion pour lui de renouer avec sa mère et sa famille, de confession juive, qui attend la mort du père hospitalisé comme un soulagement que personne n’ose avouer. Mal dans sa peau, mais obstiné, David recherche des contacts humains dans tout Buenos Aires. Réalisateur et interprète principal de Most People Die on Sundays, Iair Said évoque avec humour et sensibilité la complexité des rapports familiaux. Il fait de son personnage de soi-disant raté une figure de grand enfant émouvant, antihéros d’un premier long métrage.
Peaches Goes Bananas
Peaches Goes Bananas, c’est un peu le Mad Max — Fury Road des documentaires musicaux. Icône transgressive d’une culture queer, célèbre musicienne techno/disco/punk avant-gardiste, performeuse barbare exilée à Berlin, Peaches est filmée par la cinéaste Marie Losier (Cassandro the Exotico, The Ballad of Genesis and Lady Jaye), sur dix-sept ans de vie et de carrière. Voilà l’extase spectacle, tant sonique que visuelle, sur le point de frapper. Le parcours révolté d’une ex-institutrice canadienne qui, à sa manière, ne cesse savamment de bousculer les identités sexuelles. Attention, ça va jouer fort !
Viet and Nam
Plongée dans l’histoire trouble et complexe du Vietnam par le prisme de souvenirs du passé et de songes prémonitoires, Viet and Nam raconte une histoire d’amour queer vietnamienne et confirme l’émergence d’un nouveau cinéma vietnamien magique et formellement audacieux. Viet et Nam travaillent dans les profondeurs des mines de charbon. À l’abri des regards, dans les tunnels couverts de suie, ils deviennent des amants fiévreux. Nam souhaite toutefois émigrer clandestinement et refaire sa vie ailleurs. Mais avant de partir, il doit aider sa mère qui insiste pour retrouver la dépouille de son époux, soldat mort au combat…
Disco’s Revenge
Calibré pour les planchers de danse, exubérant et créatif, le disco s’est épanoui dans la clandestinité, dans la foulée de la lutte pour les droits civiques et LQBTQ+. Ce genre musical emblématique des années 70 est né main dans la main avec la contre-culture radicale avant d’être repris, exploité et discrédité. Au-delà des clichés kitchs et commerciaux, ce documentaire réalisé par Omar Majeed et Peter Mishara, et produit par la légende Nile Rodgers, déroule une histoire riche tout en soulignant un héritage important qui perdure encore aujourd’hui. Des témoignages passionnants, un devoir de mémoire et un grand vent de liberté.
Eat the Night
Le Havre, de nos jours. Apolline et son frère Pablo sont confrontés à la disparition de Darknoon, un jeu vidéo en ligne d’Heroic Fantasy sur le point d’être mis hors réseau. Un drame pour eux qui ont grandi avec et qui y ont trouvé refuge. Pablo, qui vend de la drogue, vit également une passion fiévreuse avec le mystérieux Night alors qu’une bande rivale se lance à leur poursuite… Ce nouveau film de Caroline Poggi et Jonathan Vinel s’impose comme un thriller haletant qui saisit avec acuité les maux de notre contemporanéité, le tout traversé de touches lyriques. Entre réalisme et monde virtuel, Eat the Night est aussi une parabole sur la fin de l’enfance et une histoire d’amour tragique.
Reas
Yoseli, Nacho, Estefi, Noe, Paulita et Carla sont d’ancien·nes détenu·es de la prison d’Ezeiza, à Buenos Aires. Avec Reas, a cinéaste Lola Arias les invite dans les décors de l’établissement de Caseros, aujourd’hui abandonné, afin de se réapproprier leur histoire. Les murs du pénitencier se transforment alors en théâtre de comédie musicale: à travers le chant et la danse, les blessures s’exposent, les rêves se dévoilent et se mettent en scène. Reas s’avère une vraie œuvre collective aux émotions contagieuses, joyeusement militante et queer, pleine d’énergie et de cœur, où le « spectacle maison » se mêle à une esthétique très pop. Entre fantasme et réalité se dessinent des destinées, des élans de liberté, ainsi qu’une ode à la solidarité et au pouvoir extatique du cinéma.
Bluish
Errol et Sasha ont toutes deux vingt ans et vivent à Vienne. La première est timide, la seconde, plus extravertie, arrive tout juste de Russie. Elles parviennent difficilement à se connecter à leur environnement. Entre appels en visioconférence, visites au musée et rencontres furtives dans la cité, elles se croisent sans se croiser. Co-réalisé par Lilith Kraxner et Milena Czernovsky, Bluish est une œuvre délicate de déambulation et d’égarement, une suspension temporelle et existentialiste au charme rafraichissant. Son entre-deux brumeux et bleuté compose une ensorcelante collection de vignettes attentives, totalement sensorielles.
Et dans une extension plus large de la queerness on pourrait ajouter Vous n’êtes pas seul de Philippe Lupien et Marie-Hélène Viens. Dans ce film, Léo, un livreur de pizza solitaire et anxieux, tombe sur John, un mystérieux chauffeur de taxi à la recherche d’âmes esseulées. Cette rencontre insolite plonge le jeune homme dans un délire vertigineux, bouleversant l’éclosion de sa romance avec Rita. Certains ne voudront pas manquer Rumours de Guy Maddin, Evan Johnson et Galen Johnson. Cate Blanchett, Alicia Vikander, Charles Dance et Roy Dupuis tiennent la vedette de cette une comédie noire qui marie le surréalisme propre à une satire politique acerbe durant un sommet du G-7, dans ce que plusieurs considèrent son film le plus accessible.
INFOS | Le Festival du Nouveau Cinéma, du 9 au 20 octobre 2024
https://nouveaucinema.ca