On fait quoi avec les hétéros à l’aise avec les LGB (lesbiennes, gais, bi), mais incapables d’accueillir le reste de l’acronyme ? On réagit comment avec les gens zéro homophobes, mais dont les paroles sont parfois racistes ? On répond quoi aux personnes si « ouvertes » qu’elles se lassent de nos revendications ?
Il m’arrive de vouloir prendre des hétéros dans mes bras. Quand je suis en présence d’humains qui n’ont jamais compris le malaise envers les LGBTQ+. De gens qui se sont intéressés à nos amours, plusieurs décennies avant la légalisation du mariage gai. De straights qui n’ont jamais eu peur de défendre les queers face aux esprits obtus.
J’ai envie de les inviter dans un parc pour qu’on se donne un câlin aussi rassembleur qu’une prestation de Céline aux Jeux olympiques.
Pourtant, quand j’entends ces hétéros résumer les personnes d’origines diverses à des stéréotypes ou utiliser de vieux termes offensants par habitude (supposément « sans méchanceté »), je ne sais plus sur quel pied danser. J’ai grandi en refusant le racisme, tout en apprenant à identifier mes biais inconscients pour m’améliorer. Je m’informe sur les réalités qui ne sont pas les miennes. Mon entourage est composé de personnes d’origines variées. Je prends la parole quand j’entends des horreurs. Je n’accepte pas qu’on utilise des termes issus du « racisme ordinaire » pour parler des personnes autochtones, noires, latinx, arabes et asiatiques. J’essaie de nuancer les discours et de déconstruire les propos dénués de sens. Je suis néanmoins partagé. À force d’intervenir autant pour les défendre, est-ce que je risque de détruire les liens avec certain.e.s hétéros qui offrent un soutien
indéfectible aux LGBTQ+ depuis des lunes ? Comment gérer ce conflit de loyauté ? En éradiquant de mon entourage toutes les personnes qui font preuve de « racisme ordinaire », même si elles protègent les queers depuis des décennies ?
Si vous me permettez l’analogie, le dilemme est en partie similaire à celui des gens qui songent à quitter Facebook, Instagram et X pour exprimer leur opposition face à la désinformation, la montée de la droite et la prolifération de bêtises envers les minorités. On peut quitter le navire ou rester à bord pour contrebalancer la haine avec la bienveillance et les faits. Même si j’ai quitté Twitter il y a plusieurs années pour protéger ma santé mentale contre le flot de paroles déshumanisantes, je reste pour l’instant sur Facebook et Instagram, afin de ne pas céder le terrain à l’horreur. Et en misant sur les communautés bâties pour faire résonner nos voix plus fort. J’ai envie de faire de même avec les humains à bienveillance variable.
Qu’on me comprenne bien : les intolérances me font hurler et me donnent régulièrement envie de rejeter en bloc tous les propriétaires d’un esprit en partie fermé. Mais est-ce de cette façon qu’on fera avancer la société ?
Ne suis-je pas, en tant que journaliste, partisan de l’éducation pour élargir les mentalités ?
J’ai envie de répondre oui la plupart du temps, mais pas toujours. Je crois que les membres des minorités auront toujours la responsabilité de vulgariser leurs réalités, même si on rêve du jour où les personnes issues de la majorité feront l’effort par elles-mêmes. Je pense aussi que plus ces dernières noueront des liens avec des gens différents d’elles, plus l’envie de s’autoéduquer s’imposera.
Cela dit, je ressens de plus en plus de fatigue queer. En plus d’accumuler un lot de déceptions et de peurs face aux attaques envers nos communautés, je suis parfois tanné d’expliquer aux hétéros-cisgenres nos enjeux et nos nuances. Je suis las de répéter les mêmes concepts. J’ai du mal à saisir pourquoi autant de LGB ont été capables de comprendre les réalités trans et non binaires, même s’il était question de sujets reliés à l’identité de genre et non aux orientations sexuelles, mais que les hétéros-cis ont de la difficulté à en faire autant. On me répondra que les lesbiennes, gais et bisexuel.le.s ont une capacité plus grande à accepter un chemin de vie différent, après avoir compris et accepté leur propre trajectoire non traditionnelle. Peut-être, mais je trouve ça mince. Quand on veut vraiment comprendre ce qu’on ne connaît pas, on peut tout simplement faire l’effort.
Dans un monde idéal, ces hétéros-cis ne tomberont pas dans le piège de l’ouverture qui nous met indirectement en danger. C’est-à-dire en faisant preuve d’un tel accueil envers nos parcours amoureux-sexuels-identitaires, qu’iels ne comprennent plus l’intolérance dont nous sommes victimes et qu’iels affirment que personne ne devrait agir différemment avec les queers, nous traiter inéquitablement, débattre sur nos enjeux, parler de nos réalités, discourir sur qui on est.
Iels ne réalisent pas que ce genre d’ouverture invisibilise les combats à mener, les droits sans cesse fragilisés et une réalité indéniable : malgré les efforts fournis par certaines personnes queers pour mener une vie identique aux hétéros-cis, le monde LGBTQ+ est et sera toujours une culture unique qui ne doit pas rester dans l’ombre. Comme le dit une publication qui circule sur les réseaux sociaux : on va continuer de briller tellement fort qu’on va brûler leurs ostis d’yeux !