Ma gorge était nouée, mes lèvres tremblantes. Il fallait que ces mots sortent. Alors, d’une voix presque étranglée, j’ai fini par les lâcher : « Je suis gai ». C’était une délivrance, mais aussi une peur sourde, celle de ce qui viendrait après. Parce qu’une fois dit, plus jamais on ne revient en arrière. Ce dévoilement ouvre des portes et en ferme d’autres, redéfinissant tout en un instant. J’étais prêt à prendre ce risque, à être moi. C’était il y a douze ans.
À l’époque, je pensais que ce coming out n’appartenait qu’à moi. Une étape intime, un rite de passage inévitable. Mais très vite, j’ai compris que ces mots portaient un héritage bien plus vaste que ma propre histoire. Ils renfermaient la force des générations qui m’avaient précédé – celles qui avaient marché dans la rue malgré les injures, aimé dans l’ombre malgré la peur et revendiqué leur existence malgré la violence. En les prononçant, je ne faisais pas que m’affirmer : je devenais le maillon d’une chaîne vivante de résistance et de résilience.
Un coming out ne se résume pas à dire « je suis bi », « je suis trans » ou « je suis queer ». Non. C’est bien plus qu’une étiquette. C’est un acte quotidien, une manière d’aimer, d’exister, de prendre notre place. Être out, c’est embrasser son identité, refuser d’être effacé. Toutefois, cette invisibilité nous est souvent imposée, insidieusement. Elle s’infiltre dans les silences gênés, les regards fuyants et ces remarques assassines : « Pourquoi en parler tout le temps ? » ou « Ça ne nous regarde pas. » Comme si le simple fait d’être présent était une provocation, et que, quoi qu’on fasse, ce serait toujours trop. Sauf que ce monde est aussi le nôtre.
Je me souviens d’une soirée, dans un bar de ma ville natale. J’ai embrassé une date. Rien de théâtral, juste un geste tendre, naturel. Le lendemain, une photo de ce moment, prise à notre insu, s’est retrouvée sur Facebook, accompagnée d’une vague de commentaires désapprobateurs : « Vous pourriez faire ça ailleurs, non ? » Ailleurs. Comme si notre relation devait rester cachée derrière des portes closes. Pourtant, autour de nous, des couples hétéros s’embrassaient sans que quiconque n’y trouve à redire. Ce jour-là, j’ai compris que notre simple présence en public suffirait toujours à déranger certains.
J’ai ressenti la même chose lorsque des proches ont tenté de me dissuader de mentionner mon orientation dans mon livre, Le cauchemar de l’intimidation : j’ai failli en mourir. « Ça va nuire à tes possibilités d’emploi », m’a-t-on dit. Comme si afficher sa diversité constituait une menace pour la société. Pourquoi devrais-je taire une part de moi pour rassurer un monde qui préfère nous ignorer ? Si affirmer qui nous sommes perturbe, c’est précisément la preuve que ces mots sont plus que nécessaires. Alors, je les ai écrits, sans détour, sans compromis, sans permission. Parce qu’être soi, ce n’est jamais négociable.
Il y a quarante ans, lors des premières marches contre le VIH/sida, un cri résonnait : « Silence = Mort ». Ce n’était pas un slogan en demi-teinte, c’était un constat : rester silencieux, c’est se condamner. Ce message a traversé les décennies sans perdre de sa force. Aujourd’hui, on ne nous interdit plus de parler, on nous demande de chuchoter. On nous tolère tant qu’on ne dérange pas, mais exister, c’est forcément prendre sa place.
Autrefois, on nous effaçait par la violence. Des lois nous condamnaient, des descentes de police nous traquaient, des traitements psychiatriques nous brisaient. Les méthodes ont changé, mais l’intention demeure la même. Elle se manifeste désormais par petites touches : un livre qui disparaît discrètement des rayons, un programme scolaire qui élude les réalités LGBTQ+, un drapeau retiré d’une école pour « ne pas créer de controverse ». Tout cela soi-disant pour « protéger l’enfance », « préserver les valeurs familiales » ou « éviter d’imposer des idéologies ». Mais on ne protège pas un enfant en lui cachant la réalité. On ne l’aide pas en lui refusant des modèles qui pourraient lui montrer qu’il a le droit d’être lui-même.
Malgré tout, nous sommes là, plus visibles que jamais. Nos coming out, nos amours assumés, nos histoires partagées sont autant de victoires en soi. Nous ne sommes plus seuls. Des communautés se forment, des alliés se lèvent et des espaces sûrs se bâtissent pour nous permettre de vivre pleinement.
Il y a douze ans, j’ai prononcé ces mots pour la première fois. Aujourd’hui, je les dis encore – pas seulement pour moi, mais pour tous ceux qui hésitent, pour ceux qui, jour après jour, ouvrent des portes et tracent des chemins. Chaque fois que nous disons « je suis », nous résistons et affirmons notre droit à être vus, entendus et aimés. Tant qu’il y aura des voix pour s’élever, des récits pour inspirer et des communautés pour se soutenir, notre existence ne sera jamais réduite au silence.
Bonjour Nicolas.
Tu écris très bien. Tu exposes correctement tes idées qui sont fort adéquates. Mais il ne faut pas oublier que les gens ont des points de vue qui diffèrent et que parfois ils n’arrivent pas à exprimer leurs idées correctement; et alors ils agissent par leur colère et leur violence sous toutes les formes.
Le principe dans toute chose est le RESPECT. Et ce dans tout. Si les gens respectent les autres même si leurs points de vue diffèrents, ce sera déjà très bien. Mais dans la société actuelle, si tu prends un peu plus de place dans l’univers de la communication, alors tu seras l’objet de critiques acerbes. La communauté gaie a fait cette erreur de prendre trop de place dans la société, et ce en ne soutenant que leur groupe. Alors les autres se sentant exclus, ils ont passé de la passivité à l’activisme actif violent. Ils ont tenté de rabaisser la communauté gaie et ils ont dit que celle-ci ne devait pas avoir trop de privilèges. Et c’est à ce niveau que la critique envers cette communauté est survenue. Cela n’est ni bien ni mal, mais c’est ce qui arrive quand un groupe prend un peu trop de place dans la société. Et parfois ils ont raison de ramener le tout en conformité avec les valeurs sociales qui évoluent lentement. Si on accélère trop vite les changements sociaux et ses valeurs, alors on risque de se voir confronter avec les aléas de la critique sociale.
Ce petit point de vue ne doit pas pour autant limiter les revendications de la communauté gaie mais il faut faire attention aux autres voies sociétales qui ne sont pas nécessairement en accord avec les gais et son pendant wokisme.
Et toi, tu dois continuer à revendiquer tout en pensant que d’autres ne pensent pas comme toi.
En tout cas, continue ton travail, que tu fais fort bien d’ailleurs, tout en pensant parfois aux autres.
En tout cas tu sembles super mon gars. Fais ce que tu dois et je pense que tu es correct dans ce que tu fais et écris. Bravo!
Bonjour Tom. Je te remercie pour ton commentaire. C’est bien apprécié.
Dans mon texte, je n’ai jamais fait mention d’entreprendre des actions militantes ou de tenter de changer rapidement les mentalités. Je n’ai encore moins manqué de respect à quiconque.
J’ai parlé de refuser l’invisibilité, et ce, de façon très large pour justement laisser la porte ouverte a l’opinion de chacun.
Être visible, cela ne signifie pas forcément brandir des pancartes. Le simple fait de faire son coming out a ses proches en est un moyen parmi tant d’autres
Pour ma part, je ne me considère pas comme un activiste, alors je serai très mal placé pour juger les personnes qui préfèrent rester discrètes.
Je n’ai pas non plus voulu suggérer des moyens précis, car justement chaque individu a le droit a leur point de vue, et ce n’est pas a moi de dire ce qui est bon ou non de faire.
Merci encore une fois d’avoir pris le temps de m’écrire. Bonne journée!