José Luis de Juan est né à Majorque en 1956. Il exerce les mystérieuses fonctions d’assesseur au gouvernement régional des Baléares. Il est juriste le matin, et l’après-midi, écrivain. Son premier roman, L’apiculteur de Bonaparte, fut très bien accueilli : Bonaparte y apparaît plus gourmand de sexe que de batailles armées.
Son second roman, Les Souffles du monde, est d’une tout autre facture, ne serait-ce que parce qu’il raconte deux histoires parallèles imprégnées d’homosexualité, et il étonnera autant qu’il intriguera.
Brillant, bourré de références historiques et culturelles, vraies ou trafiquées, il est à la fois plus complexe et sombre que le premier, marqué par la cruauté, celle des hommes comme celle du destin.
S’appuyant sur la très connue Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain d’Edward Gibbon, le livre entremêle deux histoires qui se font écho. Il débute avec celle de Laurence, qui revient à l’université d’Harvard où il a étudié vingt ans plus tôt. Il y est hanté par la figure de Jonathan, garçon étrange et bisexuel, attiré par le masochisme.
Jonathan serait mort à la suite d’un jeu sexuel dans lequel Laurence était impliqué. Étudiant séduisant et intelligent, il écrivait alors un roman mettant en scène Mazouf, esclave de la Rome antique, copiste devenu propriétaire réputé et envié d’un atelier de copie.
Mazouf est ventriloque et il a le sentiment d’entendre dans son ventre une voix de femme. Lorsque son travail est terminé, il parcourt les rues sombres de Rome à la rencontre d’éphèbes. Le lecteur découvre éventuellement que dans son travail quotidien, Mazouf n’hésite pas à modifier les textes qu’il doit se contenter de copier pour les faire siens. D’une certaine façon, il est un praticien du camouflage: il est un dissimulateur, tout comme Jonathan.
Pris dans le vertige du temps et de l’espace, Jonathan ne voit pour ainsi dire plus la réalité. On ne sera pas surpris que le romancier en vienne lui-même à confondre l’espace et le temps : Mazouf parlant comme un contemporain, et Jonathan imitant le discours du copiste. De Juan entremêle ces deux discours jusqu’à désorienter le lecteur, pulvérisant sciemment les identités.
Le roman de José Luis de Juan est savant, un peu clinquant même. Il est raffiné dans la sensualité autant que dans la cruauté. Son vrai sujet est l’Histoire (avec un grand H) considérée comme la charpente de toutes les perversions.
Le roman est éblouissant de culture, mais peut parfois verser dans la préciosité des styles. Il peut donc envoûter comme il peut irriter (et on y trouve une bonne dose de misogynie).
À coup sûr, il ne laissera cependant pas le lecteur indifférent.
Les souffles du monde / José Luis de Juan. Paris 2001, Éditions Viviane Hamy, 318 p.