L’ancien nageur Mark Tewksbury, 42 ans, a été nommé chef de mission du Canada pour les Jeux olympiques de 2012. Médaillé d’or dans le 100 mètres dos aux Jeux olympiques de Barcelone en 1992, Mark Tewksbury a fait sa sortie du placard en 1998 (et la couverture de Fugues, quelques mois plus tard), il est un conférencier motivationnel et milite pour les droits LGBT. Il a été coprésident des Outgames qui se sont déroulés à Montréal en 2006 et a prononcé avec Martina Navratilova la déclaration de Montréal demandant l’égalité des droits pour les personnes LGBT dans le monde entier. En décembre 2008, aux Nations Unies, il faisait partie des personnalités qui ont présenté l’énoncé conjoint sur la dépénalisation univer-selle de l’homosexualité, une initiative de la France, soutenue par le Canada. Depuis 2009, il est membre du panthéon LGBT de Vancouver. À l’approche des Jeux olympiques de Londres, nous l’avons contacté…
Qu’est-ce qu’un chef de mission aux Jeux?
Il est le représentant de l’équipe nationale auprès du comité national olympique ou des instances internationales, le Comité international olympique ou les fédérations internationales. Il est le porte-parole de la formation, il visite les sites olympiques, veille à la bonne installation des athlètes dans la ville, en bref, à la bonne marche et à la dynamique de l’équipe.
J’imagine que ce n’est pas rien que d’être chef de mission du Canada. Surtout depuis que le Canada a terminé 3e au tableau des médailles aux Jeux de Vancouver…
C’est certain qu’on souhaite poursuivre sur cette lancée, même si c’est une autre paire de manches aux Jeux d’été où plus de 200 nations sont alignées. Treizième aux Jeux d’été de Pékin, en 2008, avec 18 médailles (3 or, 9 argent, 6 bronze), le Canada travaille aujourd’hui à entrer parmi les 12 meilleures nations. Pour plusieurs pays, le chef de mission a surtout un rôle protocolaire, mais le Canada choisi traditionnellement un ancien athlète qui a l’expé-
rience des jeux, afin de répondre plus adéquatement aux besoins des athlètes.
Crois-tu que la question de ton orientation sexuelle a pesé dans la balance — de manière positive ou négative — quand il a été question de choisir un chef de mission?
Je ne crois pas que cela a été un élément qui a compté, ce qui, en soi, est quelque chose de très bien et démontre de manière tangible que le Canada a cheminé comme société. Ce genre d’ouverture à la différence et d’inclusion était ce que j’espérais pour le Comité olympique canadien, sans trop y croire, lorsque j’ai fait ma sortie du placard, il y a 14 ans.
Quelles sont tes attentes concernant les athlètes canadiens ?
Comme je l’ai dit, nous aspirons à entrer parmi les 12 meilleures nations. Au niveau des performances individuelles, le travail se fait surtout entre l’athlète et son entraîneur ou ce dernier avec l’équipe dans le cas d’un sport d’équipe. Le travail du comité olympique — et le mien — est de bien préparer les athlètes aux Jeux olympiques. Les athlètes de haut niveau ont l’habitude de participer à des compétitions internationales, mais il s’agit la plupart du temps uniquement d’athlètes pratiquant le même sport. Avec des athlètes de 26 sports et de 36 disciplines différentes, sans compter l’attention des médias, inutile de dire que les Jeux olympiques favorisent la distraction des athlètes à un moment où ils doivent se concentrer le plus possible à la performance qu’ils vont devoir donner. Mon rôle et celui du comité olympique canadien est de les accompagner dans les derniers moments afin de faciliter la concentration qu’ils ont besoin. Ils doivent être capables de focaliser afin de transformer leur performance en succès et en médailles.
ET on s’y prend comment pour faciliter les performances exceptionnelles ?
Il n’y a pas de recettes magiques, mais c’est incroyable ce qui peut arriver quand on est capable de créer un esprit d’équipe et d’unir les athlètes dans un objectif commun. Nous nous en sommes aperçus à Vancouver. L’idée est de créer un momentum. De manière pratique c’est à ce niveau, motivationnel, que je vois que je peux le mieux aider les athlètes. Comment réagir à telle performance de tel ou tel athlète afin que cela stimule les autres, et ce, afin de ne pas décourager l’ensemble des athlètes dans le cas où un athlète ou une équipe ne performe pas selon «le plan» ou les attentes. Tu sais, les athlètes s’entraînent pendant des années pour leur performance et pendant 17 jours, il leur faut savoir improviser et s’adapter.
Tu as toi même vécu les jeux de l’intérieur à SÉoul et Barcelone, j’imagine que la pression a été intense?
Totalement! Mais c’est ça la compétition de haut niveau. Et la pression des autres est sans doute moins grande que la propre pression que chaque athlète se met sur les épaules. La pression extérieure est une autre couche qui s’ajoute, mais la véritable pression vient de l’athlète qui veut vraiment se dépasser et gagner.?Personne ne veut gagner plus que les athlètes, je peux te l’assurer.
Si je ne me trompe pas, aucun athlète canadien qui sera aux JEUX de Londres n’est ouvertement gai ou lesbienne…
Pas ouvertement gai dans la mesure où cela ne fait pas partie du domaine public, mais je sais qu’il y a des gais et des lesbiennes dans l’équipe canadienne.
Es-tu surpris ou déçu ou comprends-tu parfaitement que, près de 15 ans après que tu sois sorti du placard, il n’y ai pas plus d’athlètes de haut niveau qui fasse de même?
Je mentirais si je te disais que je ne suis pas un peu déçu et un peu surpris. Et je n’ai pas de réponse pour expliquer une telle situation. Certaines des athlètes que je sais lesbiennes, ne viennent pas me demander conseil sur la question de l’orientation sexuelle, bien que je suis ouvertement gai. Elles viennent me voir pour que je les aide au niveau de leur performance. Je crois que ceux et celles qui n’en parlent pas, ne veulent simplement pas que leur orientation devien-ne un enjeu de plus avec lequel ils ou elles devront traiter.
Et ce, même si ils et elles vivent au Canada, un pays où la discrimination est non seulement interdite, mais où la tolérance par rapport à l’homosexualité est assez grande?
Eh oui. Il ne faut pas oublier que tous les athlètes compétitionnent hors du pays, parfois dans des pays où simplement le fait d’être gais ou lesbiennes est illégal ou socialement inacceptable. Pour les femmes, la discrimination est souvent double dans des pays où la femme est moins respectée. Ce sont des facteurs qui ont, sans aucun doute, un poids important dans la décision de certains athlètes qui ne veulent pas se placer dans une position qui les désavantagerait ou qui pourrait les mettre en danger s’ils étaient totalement ouverts quant à leur orientation sexuelle.
Que dirais-tu à un jeune athlète qui hésiterait à faire sa sortir du placard avant ou après les jeux ?
Je ne pense pas qu’au Canada on doit craindre quoi que ce soit en faisant notre sortie du placard. Le fait que le chef de mission de l’équipe canadienne est ouvertement gai est un message clair et fort: la structure du sport d’élite va vous soutenir et il est possible d’être un athlète de haut niveau ouvertement gai.?Cela dit, comme tous les autres gais, les athlètes feront leur sortie du placard au moment où ils seront prêts. Il faut d’abord l’accepter, puis être confor-table avec l’idée d’en parler avant de faire sa sortie. Si un athlète se sent mieux de ne pas le dire, c’est mieux qu’il ne le dise pas. S’il est torturé par l’idée de garder cela secret, il est préférable d’en parler, ne serait-ce qu’à un cercle restreint.?Sa performance n’en sera que meilleure s’il est mieux dans sa peau. La particularité chez les sportifs d’élite est que toutes leurs énergies sont canalisées afin de performer et pour eux la question de l’orientation sexuelle ne doit pas être une entrave ou un boulet. Dans mon cas personnel, je devais me libérer du poids du secret, de la honte que j’éprouvais. J’en ai donc parlé à mon entraîneur à quelques jours de la compétition olympique. Je me suis senti libéré et j’ai senti son soutien. Je suis convaincu que cela a changé la dynamique et que cela a joué dans ma performance. Je pouvais me concentrer uniquement sur la compétition. Si sortir du placard pour un athlète lui permet de se sentir mieux dans sa peau, je suis convaincu qu’il faut le faire. À l’opposé, si l’athlète voit la sortie comme un poids à porter publiquement, il risque de ne pas le faire.?En fin de compte, c’est un choix individuel. Si un athlète est torturé par l’idée de sortir ou non du placard, je crois qu’il doit transformer cette énergie qui le consume en une force qui l’alimentera et lui permettra de performer.
sur un tout autre plan, aimerais-tu commenter l’échec des négociations entre GLISA (organisatrice des OUtgames) et la Federation of Gay Games afin de fusionner les deux grandes compétitions mondiales LGBT ?
La Fedération n’a pas négocié de bonne foi, pas plus dans le cas présent que lorsque Montréal a tenté pendant plus de deux ans (en 2002 et 2003) d’arriver à un compromis au niveau du budget et du processus décisionnel, constamment rejeté par le CA?de la FGG. Elle ne sait qu’une chose : imposer sa manière de voir les choses, sa manière de fonctionner. À ses origines, les Gay Games étaient une excellente initiative, mais l’organisme derrière les jeux n’a pas su évoluer au fil des ans et sa représentativité est de plus en plus pro-blématique pour une institution qui se dit internationale. C’est dommage, car au lieu de se rapprocher des fédérations sportives LGBT des quatre coins du monde, la FGG démontre à nouveau son incapacité à répondre aux besoins locaux et à s’adapter aux différentes cultures et manières de faire les choses. J’ai parlé aux gens de GLISA, ils?sont dévastés. Ils avaient espoir dans ces négociations et étaient prêts à faire des concessions dans la mesure où la FGG aurait fait un pas aussi. Ce n’est pas évident de produire un événement de la taille des Outgames et encore plus difficile de le faire s’il y a un autre joueur dans le portrait. C’est désolant, mais ça me valide dans l’impression que nous n’étions (NDLR : l’équipe de Montréal 2006) ni fous ni de mauvaise foi lors des négociations avec la FGG.