À Montréal, la descente du Sex Garage, en 1990, n’a pas été le seul ni le premier événement où les gais et lesbiennes ont subi de la répression de la part des autorités. Les descentes étaient monnaie courante et certains ont parfois aussi suscité une mobilisation et la conscientisation de l’ensemble de la communauté LGBTQ, puis de l’opinion publique. De la répression simple à la redéfinition de la notion d’acte indécent, petit retour sur ce qu’on pourrait appeler «nos autres Stonewall»…

1975 – 1976
Avec son désir de « nettoyer » la ville avant la tenue des Jeux olympiques le maire Jean Drapeau met sur pied, dès 1975, le Comité de moralité publique qui crée une vague intense de répression contre les bars du centre-ville où l’on trouve une forte concentration d’établissements gais et lesbiens.
Une première rafle fait fermer les portes du Sauna Aquarius en 1975. Plusieurs autres établissements bien connus sont aussi des cibles au début 1976 : les Bains Clubs, le Sauna Cristal, le Sauna Neptune, le Taureau d’Or, le Studio 1, le Club Stork, le Jilly’s, et bien d’autres ferment leurs portes et font face à de douteuses accusations. Plusieurs clients et propriétaires sont arrêtés. Ce sont les plus importantes arrestations au Québec depuis la crise d’octobre en 1970. Le lien avec la crise d’Octobre n’est pas anodin s’il faut en croire les auteurs Gary Kinsman et Patrizia Gentile, qui reviennent sur cette époque dans le livre Canadian War on Queers, publié en 2009. Les auteurs y révèlent qu’il s’agissait d’une volonté politique fédérale. «Les autorités policières de plusieurs régions du Canada luttaient contre le radicalisme. Il faut se rappeler que ces années suivaient les actions du FLQ et la tuerie aux Jeux de Munich en 1972. À l’époque, le gouvernement voyait les organisations gaies comme une menace pour la sécurité nationale. Ils étaient obsédés par la collecte d’informations sur les homosexuels », expliquait d’ailleurs Ross Higgins, cofondateur des Archives gaies du Québec à l’un de nos journalistes, en 2016.
Le Truxx – 1977
La répression ne cesse pas après les Jeux Olympiques et le 21 octobre 1977, la police effectue une descente au bar Truxx et arrête 114 hommes accusés de s’être trouvés dans une «maison de débauche». Pour la première fois, les militants ripostent, en organisant une manifestation de protestation le lendemain soir aux abords du bar. Environ un millier de gais se joignent au Comité anti-répression de l’ADGQ (Association pour les droits des gais du Québec). L’événement, extrêmement médiatisé, fera la une du Journal de Montréal et est couvert par plusieurs chaînes de télévision. Considérée par certains comme le «premier» Stonewall québécois, la descente au Truxx marque un tournant dans les rapports que la communauté va entretenir avec la police.

Le Buds – 1984
Dans la nuit du 1er au 2 juin 1984, quelque 75 policiers participent à la descente au bar Buds, situé sur la rue Stanley, à côté du Limelight et du Jardin. Au cours de cette descente 188 personnes sont arrêtées. Le lendemain, plus de 600 personnes descendent dans la rue pour dénoncer la répression policière en scandant: «Aujourd’hui on brime nos libertés: Demain, les vôtres.» Le club a fermé ses portes quelques mois après, entraînant la disparition de la majorité des autres établissements gais du centre-ville, et ce, en l’espace d’un peu moins d’un an. Toutefois, comme le sociologue Frank Remiggi le rappelait en entrevue dans Fugues, en 2004, la police n’est pas la seule cause du déplacement du pôle gai du centre-ville au Centre-Sud. «Dès l’ouverture du K.O.X., le Buds avait commencé à connaître une baisse de sa clientèle. Et bien qu’il soit impossible d’affirmer cela hors de tout doute, il est probable que ce bar aurait dû fermer de toute façon, tôt ou tard» à cause de la hausse des loyers et la concurrence des établissements du Village.
Le SexGarage – 1990
SexGarage était le nom donné à une série de partys privés organisés dans le centre-ville (sur de la Gauchetière) par Nicholas Jenkins. En juillet 1990, des policiers de la Communauté urbaine de Montréal, sans leur insigne, y font un raid. Ils battent plusieurs fêtards à coup de matraque pendant que plusieurs drag queens, habituellement les premières à subir les harcèlements policiers, rampent pour sortir par l’escalier de secours. La police menace de faire feu sur quiconque quitterait les lieux sans escorte policière et arrêtent huit personnes.

Après l’annulation, le lendemain, d’une rencontre avec les autorités policières, 200 protestataires manifestèrent devant le poste 25, bloquant une intersection et criant des slogans tels que «Brisez le silence! Pas de violence!» et «We’re here, we’re queer, and so are some of you!» Plus d’une cinquantaine de policiers en tenue anti-émeute et portant des gants de latex prennent d’assaut les manifestants et les porteurs de pancartes, puis procèdent à 48 arrestations. Les journalistes et caméramans de la télévision captent les scènes de brutalité policière. SexGarage, maintenant perçu par bien des militants montréalais comme le Stonewall de Montréal, a modifié le paysage politique de la ville, forçant les autorités municipales et le service de police de la CUM à permettre des manifestations sans qu’il soit nécessaire d’obtenir un permis. Sex Garage a également politisé une génération de gais montréalais. Deux semaines plus tard, 2 000 manifestants défilent dans les rues, du Quartier général de la police, alors situé dans le Vieux-Montréal, jusqu’au parc Lafontaine, où se succèdent différents orateurs. Des représentants de Queer Nation ont piqueté devant les bureaux de la délégation du Québec à New York en geste de solidarité.
Le KOX / Katakombes – 1994
Bar mythique du milieu gai montréalais, le KOX/Katakombes défraie la manchette en février 1994, alors que des policiers investissent les lieux et y arrêtent tous les 168 hommes présents pour s’être trouvés dans une «maison de débauche». Traités en criminels, beaucoup vont souffrir longtemps de cet épisode traumatisant. Était-ce une tactique d’intimidation de la police (le bar était alors la propriété d’un crimi-naliste), ou la poursuite d’une opération débutée les mois précédents, alors que la police avait visité la discothèque Max et les 2R (un bar de danseurs nus). Quoi qu’il en soit, la police est prise à son propre jeu et doit abandonner les accusations contre 92 des 165 personnes arrêtées. En fin de compte, après des pressions, seulement une poignée d’entre eux seront formellement accusés. La descente force des négociations sérieuses entre la police et la communauté et pave la voie, non seulement à la mise sur pied de Dire enfin la violence (DELV), mais aussi à une table où les gais, la Ville et les corps policiers ont démontré leur capacité à se parler, à faire avancer les dossiers et à changer l’approche d’intervention des policiers.

Le Taboo – 2003
L’escouade de la moralité fait un coup d’éclat et arrête plus d’une trentaine de personnes au club de danseurs nus Taboo en mai 2003. Les hommes arrêtés sont accusés de diverses infractions d’ordre sexuel : tenir une maison de débauche, s’être trouvé dans une maison de débauche, avoir commis des actes indécents. Si certains des accusés ont décidé entre-temps de plaider coupables, pour diverses raisons (peur de devoir témoigner, maladie ou autre), le procès de majorité des accusés, commencé en décembre 2004 est abandonné par la poursuite, lorsque la Cour suprême du Canada redéfinie la notion d’«acte indécent» sur laquelle reposait toute l’accusation.
— Rédaction par Yves Lafontaine et Denis-Daniel Boullé