Devenue au fil du temps un classique, la pièce «Les Feluettes» est avant tout une œuvre scénique qui, si elle a fait l’objet d’un film réputé de John Greyson, a connu de multiples adaptations théâtrales autour de la planète avant d’arriver à l’opéra dès le 21 mai prochain grâce à la volonté et le talent de plusieurs membres de la communauté LGBT.
Si Les Feluettes ont pu devenir un opéra présenté sur la scène du Saint des Saints de la place des Arts, la salle Wilfried-Pelletier, c’est grâce au courage artistique et à la persévérance du directeur artistique de l’Opéra de Montréal (ODM), Michel Beaulac. Ce projet aura mis presque 20 ans à se coordonner d’abord, se réaliser ensuite, grâce à plusieurs créateurs issus de notre communauté LGBT comme Michel-Marc Bouchard au livret, Kevin March à la partition, Serge Denoncourt à la mise-en-scène, Timothy Vernon à l’orchestre, d’autres personnalités au sein de l’équipe de l’ODM et plusieurs alliés.
« Les Feluettes est une pièce fondatrice du théâtre québécois et 20 ans plus tard, on parle désormais d’un classique du répertoire québécois et d’une œuvre universelle par sa thématique de l’amour fou et impossible », déclare Serge Denoncourt qui mettra en scène la version lyrique des Feluettes à l’Opéra de Montréal (ODM).
Une œuvre qu’il connaît bien, puisqu’il avait monté la pièce de Michel-Marc Bouchard à l’Espace Go en 2002 et, Lilies, la version anglaise, à San Francisco, quelques années auparavant. « J’ai déjà fait des mises en scène d’opéra (Les noces de Figaro, Cosi fan tutte, Don Giovanni, Tosca) et je crois avoir un bon sens musical pour mettre en scène un tel événement qui touchera la sensibilité du spectateur, avant celle du mélomane. »
Un opéra pour dépoussiérer l’Opéra
« Quand j’ai su que Les Feluettes serait adaptée par l’Opéra de Montréal, j’espérais en faire la mise en scène. J’attendais cet appel. », avoue le flamboyant metteur en scène. « Je suis très heureux de faire partie de ce projet, car je travaille avec une équipe de production qui cherche à renouveler et dynamiser cet art, des gens qui comme moi ont la volonté de faire tomber des barrières, d’essayer autre chose et de dépoussiérer l’opéra avec une telle production… La création des Feluettes à l’Opéra de Montréal représentera une date historique puisqu’il s’agira d’une toute première œuvre lyrique (en français) traitant de l’amour entre hommes. »
Rompu à la mise en scène d’œuvres parfois théâtrales, parfois lyriques, Serge Denoncourt admet que cette création complète d’un opéra composé autour d’un livret à partir d’une pièce qu’il connaît pourtant bien, n’est pas sans défi : « L’opéra est un autre médium avec des contraintes spécifiques, comme l’humour qui émaille les Feluettes et qui passe moins bien à l’opéra. On a donc beaucoup coupé tout en respectant les enjeux de l’œuvre et la dramaturgie de Michel-Marc Bouchard. »
Des scènes explicites incontournables
« Les contraintes sont différentes, mais c’est aussi ce qui m’excite le plus, parce qu’il faut recommencer à zéro, faire un autre métier pour retisser l’ouvrage : la scène est plus grande ; les chanteurs n’ont pas l’âge des jeunes personnages; le temps est plus élastique à l’opéra, il faut cinq fois plus de temps pour dire les choses et achever une scène. » Si la pièce de théâtre ne cache rien des relations autant amoureuses que physiques entre les personnages, qu’en sera-t-il de l’opéra, qui souvent évoque plus qu’il ne montre?
« L’œuvre expose des scènes explicites incontournables abordant la sexualité et la sensualité entre hommes que nous développerons dans l’opéra. Les artistes devaient accepter ce défi. Or, curieusement, quand cela s’est su dans le milieu lyrique que l’ODM montait un opéra autour des Feluettes, nombreux furent les artistes lyriques masculins à sonner à la porte de la production… »

« On dit souvent que l’opéra, c’est l’art de la convention», insiste le baryton Étienne Dupuis, très enthousiaste à l’idée de chanter le rôle du jeune Simon Doucet avec «toutes les exigences du rôle… et du metteur en scène», affirme-t-il. «L’opéra est une forme d’art très émouvante et humaine, qui s’adresse d’abord à la sensibilité plutôt qu’au réalisme ou à la pensée réfléchie. Si elle semble difficile à accepter, elle n’est pas difficile à aimer parce qu’elle parle directement à nos émotions. Ça n’a donc rien de ringard ou quétaine de monter une œuvre à thématique très sociale comme l’amour entre hommes… »
Les Feluettes de Kevin March, par Serge Denoncourt sur un livret de Michel-Marc Bouchard, les 21, 24, 26 et 28 mai à 19 h 30, Salle Wilfried-Pelletier, Place des Arts. www.operademontreal.com