Après la mort de son amant, un jeune homosexuel se rend aux funérailles dans une campagne isolée, où il rencontre pour la première fois sa mère et son frère, un être rustre avec qui il développe une dynamique ambiguë pleine de violence et de non-dits. Cette histoire de mensonges, d’homophobie et de famille a fait le tour du monde depuis sa création montréalaise en 2011 : Italie, Espagne, France, Mexique, Allemagne, Venezuela, et même l’Ukraine, où la première a été présentée sous surveillance policière, ainsi qu’au Brésil, le champion du monde des crimes homophobes.
L’auteur de la pièce, Michel Marc Bouchard, affirme que la traduction brésilienne qu’il a vue à Rio il y a quelques semaines est sa production étrangère préférée. « Ils ont fait une lecture fascinante de la pièce. Le plus beau cadeau qu’on peut faire à un auteur, c’est de lui faire oublier qu’il a écrit la pièce qu’on lui présente. Le metteur en scène a choisi de ne pas mettre de décors ou de meubles sur scène. Il y avait uniquement de la bouette, une bâche et des sauts. On se sentait déjà à la ferme. »
Tom en la granga Tom en la granga
Mais comment les Brésiliens, réputés pour leur machisme, ont-ils accueilli cette histoire? « Les réactions du public et des médias ont été extrêmement positives, mais il faut dire que la pièce a été jouée dans la capitale et qu’elle ira peut-être dans une grande ville comme Sao Paulo. Je ne crois pas qu’elle va tourner en provinces. » Il rappelle également que Tom à la ferme n’est pas une pièce pro gais ou anti gais, mais une tragédie homophobe. « Le public vibre avec l’histoire. Quand Tom est suspendu au-dessus de la fosse, les spectateurs sont déjà dans une espèce d’abandon face à une foule d’aprioris. Ils sont en catharsis avec ce qui se passe. Et à la fin, quand Tom tue Francis, il vient s’assoir sur le bord de la scène pour s’adresser au public. On passe dans un autre registre, comme un épilogue shakespearien. En racontant le meurtre, ça devient assez politique. »
Tom à la ferme – Paris Tom à la ferme – Paris
Autre événement de même nature : la présentation de trois productions de Tom à la ferme en Ukraine, le pays où une Pride rassemblant 1000 participants avait été protégée par 10 000 représentants des forces de l’ordre, l’été dernier. Les représentations de la pièce à Kiev ont d’ailleurs été faites avec une présence policière autour du théâtre. Une fois encore, le dramaturge était sur place. « Quand le baiser se produit entre les deux gars, j’ai senti que le monde dans la salle arrêtait de respirer! Et après coup, c’était fascinant d’analyser les parallèles entre la pièce et les rapports entre l’Ukraine et la Russie : la relation dominé-dominant, presque sadomasochiste, alors que Francis pourrait personnifier la Russie et Tom l’Ukraine. J’ai senti que de monter Tom à la ferme à Kiev, c’était un geste politique! »

Même si les thématiques abordées dans ses pièces peuvent faire réagir davantage les spectateurs de certaines régions du monde, Michel-Marc Bouchard n’accepte pas la censure ni les modifications au texte pour s’adapter aux réalités locales. «C’est très mal vu d’adapter le théâtre et c’est quétaine en criss! Dans Tom à la ferme, il n’y a pas trop de référents québécois. Et en général, depuis que mes œuvres voyagent, les artistes ont respecté mon identité.»
Il faut dire que le dramaturge est habitué de voir ses pièces traduites. On n’a qu’à penser aux Feluettes, Le chemin des passes dangereuses, Christine la Reine Garçon, Les Grandes chaleurs, sans oublier Les Muses Orphelines, le premier de ses textes joués à l’extérieur du Canada, en Italie plus précisément. Si l’expérience était empreinte de fierté, elle est aussi venue avec son lot de curiosité. « Je me demandais pourquoi une histoire qui se passe à Saint-Ludger-de-Milot, au Lac-Saint-Jean, se ramassait à Rome, dans un décor de Toscane, et dans une autre langue. Il est où l’ancrage? » Outre la qualité de l’histoire et la présence de personnages forts, la thématique universelle de la famille a largement contribué à la vie internationale des Muses. « La pièce a fonctionné particulièrement dans les pays où la famille est encore très forte, comme l’Italie, le Mexique, l’Espagne et plusieurs pays d’Amérique latine. L’histoire plaisait aussi beaucoup aux jeunes, puisqu’il était question de révolte et d’affirmation de soi.»

Pendant quelques années, Michel Marc Bouchard acceptait que des étrangers montent ses pièces dans leur langue dès qu’on lui en faisait la demande, mais les choses ont changé. « Sur le coup, c’est plaisant d’être joué ailleurs dans le monde, mais un jour, il faut exercer un certain contrôle, être plus vigilant sur la traduction et sur les artistes qui montent la pièce. L’arrivée d’Internet m’a énormément aidé à identifier les compagnies de théâtre, la distribution et le metteur en scène. Et quand la compagnie est à ses débuts, je demande un document de travail pour voir leur vision sur papier. »
Précisons que l’auteur n’assiste pas à toutes les premières de ses traductions. « Si je faisais ça, je ne serais jamais chez nous! Récemment, je suis allé en Ukraine et au Brésil, deux pays que je n’avais jamais visités, parce que les projets m’intéressaient beaucoup. Et dans le passé, je suis allé voir des incontournables, comme les Feluettes au Japon et Les Muses orphelines en Corée. »