Voisine du Vatican et quotidiennement confrontée à la vision des ténors de la région catholique, l’Italie peut sembler particulièrement conservatrice pour quiconque observe la situation de l’extérieur. Toutefois, selon Mario Di Carlo, un homosexuel italien vivant à Rome, la portée de l’Église est beaucoup moins grande qu’avant, ce qui aide la communauté LGBTQ à se faire une place au pays de Berlusconi.
«Puisque de nombreux sondages démontrent que l’Église catholique exerce moins d’emprise sur la population italienne qu’avant, ses leaders font tout pour maintenir un rôle fort dans la culture populaire, particulièrement via la télévision. Et les politiciens semblent leur donner plus d’importance qu’ils n’en méritent. En d’autres mots, de moins en moins d’Italiens définissent leur vie en fonction des doctrines religieuses, mais l’Église a encore une grande influence sur les débats publics», explique Mario Di Carlo.
Bien que le pape François s’exprime avec beaucoup moins d’ardeur que ses prédécesseurs contre la communauté LGBTQ, plusieurs pontes de l’Église catholique ne se sont pas fait prier pour participer au débat sur l’union civile entre personnes de même sexe, qui a finalement été légalisée le 11 mai 2016, faisant ainsi de l’Italie le tout dernier pays de l’Europe de l’Ouest à accorder ce statut. «Durant les discussions, les forces conservatrices, qui incluent en grande partie l’Église catholique, ont résisté avec véhémence contre la légalisation, mais on voyait bien qu’elles avaient perdu leur autorité sur la société. Cependant, elles ont quand même réussi à supprimer les clauses de la loi au sujet de la garde des enfants en cas de décès ou de divorce. Comme si les familles homosexuelles en étaient de seconde catégorie…» Cet amendement a donc transformé la conclusion d’un long débat en victoire partielle aux yeux de certains.
En contrepartie, les discussions entourant l’union civile ont amené les réalités LGBTQ au cœur d’une large réflexion de société. «Nous avons profité de cette période pour sensibiliser l’opinion, confronter les préjugés et rallier beaucoup de gens à notre cause.» Mario Di Carlo est tout de même d’accord pour dire que les Italiens demeurent très conservateurs, tant au sujet de la vie personnelle, des droits humains et des réformes socio-économiques en général. «Les Italiens sont majoritairement réfractaires au changement. Mais en même temps, tout dépend de la région.» En Italie, presque chaque ville est une communauté à part entière avec une très longue histoire et des traditions. «Rien n’est blanc ou noir, mais généralement, il y a une grande différence entre le Nord et le Sud, et entre les grandes villes et les provinces. Je viens d’une ville du Sud, où mes parents vivent encore. Je m’y affiche ouvertement comme homosexuel, avec un bon niveau d’acceptation, et sans que cela cause de conflits fréquents. Mais plusieurs villes du Nord sont beaucoup moins accueillantes».

En effet, malgré l’évolution des lois, tout n’est pas rose pour la communauté LGBTQ italienne, dont les membres sont souvent victimes d’agressions physiques. «On m’a déjà agressé il y a plusieurs années, parce que j’avais souri à un garçon! Et plus récemment, on m’a lancé des œufs parce que je tenais la main de mon amoureux en public (ils ont manqué leur cible, soit dit en passant…). Heureusement, dans les deux cas, les policiers ont été très professionnels, gentils et proactifs.» En revanche, il arrive fréquemment que la police elle-même réagisse négativement aux baisers entre personnes de même sexe. «Il y a donc énormément d’incidents homophobes qui ne sont jamais rapportés parce que plusieurs officiers font preuve d’intimidation ou d’abus de pouvoir auprès de la communauté. En plus, les actes de violence contre les gais et lesbiennes sont généralement sous-médiatisés. Mais c’est pire quand il est question de violence envers les trans, ce qui est encore plus fréquent.»
L’état des lieux peut sembler décourageant, mais les choses changent également dans le bon sens. L’ébauche d’une loi contre l’homophobie a été adoptée par la Chambre basse en 2013, bien qu’elle demeure dans l’antichambre du Sénat depuis. Une loi contre la cyberintimidation a été adoptée en juin dernier, ce qui protégera davantage la communauté LGBTQ, et plus spécialement les jeunes. La police offre depuis peu des formations contre l’homophobie. De plus en plus de commerces se déclarent inclusifs et forment leurs employés sur les droits LGBTQ. «Même au sein de l’Église catholique, certaines voix s’élèvent pour demander la désapprobation officielle des actes de violence homophobe», précise Mario.
Par ailleurs, de plus en plus de personnalités publiques décident de faire leur coming out, y compris du côté des politiciens. À titre d’exemple, le vice-ministre Ivan Scalfarotto vient de s’unir avec son partenaire de longue date. Et le sénateur Sergio Lo Giudice a deux enfants avec son amoureux. «C’est encore difficile de s’afficher au travail, mais on sent de plus en plus que le plafond de verre qui nous empêche d’avancer s’amincit. Dans un contexte pareil, il faut absolument que les membres de la communauté se serrent les coudes.»