Jeudi, 28 mars 2024
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    Espagne, France, Italie : « Paris-Austerlitz » de Rafael Chirbes / « Au feu de Dieu » de Walter Siti

    Deux auteurs de deux pays européens. Un de l’Espagne, Rafael Chirbes (1949-2015), artiste peintre, mais aussi romancier, critique et essayiste, dont neuf de ses livres ont été traduits en français, particulièrement Sur le rivage (Éditions Rivages, 2015) qui a connu un succès mondial. L’autre vient de l’Italie, Walter Siti (né en 1947), qui est un romancier, essayiste et critique littéraire fort connu dans son pays, ami de Pier Paolo Pasolini (sur lequel il a écrit une thèse); nous avons parlé ici à FUGUES de deux de ses romans, Leçons de nu (Verdier, 2012) et La contagion (Verdier, 2015). Chacun possède son style très particulier pour parler de la vie moderne, de l’amour des hommes, du destin de tout un chacun.

    Paris-Austerlitz est probablement le livre le plus personnel de l’auteur et qui est aussi son dernier. Chirbes a mis vingt ans à l’écrire et le termine dans la maladie (il est mort du sida). Livre aux accents autobiographiques, livre-limite, plein de fulgurances, roman-testament centré sur l’amour et la mort.

    Il y est raconté l’histoire de deux destins, celui de Michel, ouvrier normand, qui lutte contre le sida, qui l’emportera, et celui du narrateur, peintre madrilène exilé à Paris, qui attend les résultats de ses tests de dépistage. Sous la forme d’un récit au long flashback, le narrateur raconte son histoire d’amour avec le Français. Il commence par une description des blessures corporelles de Michel sur son lit d’hôpital, assailli par le sida.

    Son amant l’accompagne dans ses derniers instants de vie, le regarde de manière le plus possible détachée, il est passé de l’amour à l’amitié. Les souvenirs remontent à la surface : leur rencontre initiale, leurs tournées dans les bistrots au milieu de la nuit, leurs cuites, leurs errances dans les rues et les parcs de Paris, l’appartement sombre où, pour ainsi dire, ils croupissent. Leur quotidien est désordonné. L’entente entre les deux se délite.

    Tout les sépare. Michel, généreux certes, veut tout avoir, lui qui a eu une enfance perturbée, faite de privations, et qui est devenu une petite frappe alcoolique, contrairement à l’Espagnol venu de la bourgeoisie madrilène, exerçant le métier de peintre et espérant la gloire (une exposition de ses œuvres est préparée, mais n’aura pas lieu).

    Le passé des deux amants ne peut être effacé; leur bonheur, si difficile à atteindre, ne peut les combler. Leur amour est intense; la chair est ivre; leurs corps brûlent dans la passion, mais surtout dans une frustration, dans une soif de fusion impossible à étancher. Leur fièvre amoureuse est inextricablement nouée à la mort, ce qui engendre un état de culpabilité et de souffrance insupportable. Ils se débattent contre cela, tout en sachant que c’est la mort qui guérira la blessure de leur amour.

    Paris-Austerlitz est un livre grave, noir, désenchanté. C’est un roman sur le deuil et la mélancolie. Son écriture est tourmentée, impudique, crue. Cette quête d’un amour perpétuel, à l’écriture précise et dense, est portée par une poésie de la douleur.

    Walter Siti

    Fort différent est le roman de Walter Siti. On connaît chez cet écrivain romain sa soif de connaissance du monde, tant sur le plan politique que culturel, intéressé par le temps présent, ses modes et ses nouveautés, creusant la réalité sociale et sexuelle de notre époque.

    Son dernier roman, Au feu de Dieu (Bruciare tutto, qui peut se traduire par « Brûler tout »), a semé la controverse en Italie à sa sortie. Il aborde à son cinquième chapitre seulement un sujet brûlant – ce qui ne nous surprend pas de cet auteur pour qui rien ne doit être censuré : la pédophilie. Plus même, celle d’un prêtre, qui est le protagoniste du roman. Il s’appelle Léo et doit être bientôt ordonné.

    C’est un homme progressiste, ouvert, généreux, attentif à l’évolution sociale et culturelle (on voit, dans ce roman, comment l’Italie s’inculture, s’américanise). Toutefois, il est obsédé par le sexe, en particulier par celui de jeunes adolescents, dont Massimo est le modèle : beau, musclé, fougueux. Il doit s’occuper d’une paroisse milanaise; il y met beaucoup d’énergie, et même de la fièvre et de l’angoisse, fragilisé et nerveux par sa passion secrète, tant et tant que tout lui paraît amer, sans l’espérance qui doit le nourrir comme prêtre. Il se punit pour cette passion diabolique, se fouettant la nuit.

    Walter Siti est un auteur italien important, dont le nom est mêlé à des provocations jamais gratuites: c’est qu’il décrit l’Italie avec un scalpel. C’est probablement son regard sans concession ni pathos qui a scandalisé les vierges de la bonne conscience, prêtes à détruire tout ce qui sort du droit chemin, y compris ceux – comme Siti – qui dénoncent une bourgeoisie corrompue, insensible à la misère et à la pauvreté, et à l’avancée d’une barbarie technologique et civilisationnelle mondialisée. Là se situe la vérité du choc qu’a suscité ce livre profus et inquiet, à l’écriture complexe et ciselée, qui dresse un portrait saisissant de la Comédie humaine.

    Paris-Austerlitz / Rafael Chirbes, traduit de l’espagnol par Denise Laroutis. Paris: Rivages, 2017. 124p.

    Au feu de Dieu / Walter Siti, traduit de l’italien par Martine Seconds-Bauer. Paris: Verdier, 2017. 379p. (coll : Terra d’altri)

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