Âgée de 19 ans, Vivian se fait allègrement catapulter vers le Lilly Playhouse, un théâtre de variétés situé en plein Time Square à New York, par des parents désespérés qu’elle ne soit pas à même de tenir sa classe et son rang. Expulsé du collège où elle étudiait (en 361e position sur les 362 étudiantes de l’institution), elle semble, en effet, incapable de s’intéresser à quoi que ce soit. C’est donc un aller simple chez sa tante Peg qui gère un théâtre offrant des divertissements simples aux immigrés de fraiche date de la métropole américaine en cette aube des années 1940. À titre de référence, on y retrouvait le même type de répertoire que le Théâtre National situé au cœur du Village, soit des revues musicales, du vaudeville et des spectacles à saynètes. Vivian a cependant un atout dans sa manche, puisqu’elle est une excellente couturière et c’est ainsi que, sans réellement le vouloir, elle devient costumière en chef de la troupe et plus particulièrement des show girls toujours à la recherche d’un je-ne-sais-quoi qui soit à la fois chic et extravagant.
Elle se retrouve ainsi dans une position d’observatrice privilégiée de la faune bigarrée qui foule les planches le théâtre: acteurs et actrices, danseuses, musiciens, sans oublier l’incontournable présence LGBT. L’auteure, Elizabeth Gilbert (à qui l’on doit le best-seller Mange, prie, aime), a d’ailleurs interviewé de nombreuses show girls, maintenant âgées de plus de 90 ans, afin d’alimenter un portrait qui soit le plus juste possible. Et l’intérêt du regard de Vivian est qu’il se porte justement sans jugement aucun : chaque rencontre constitue une nouveauté captivante, qu’il s’agisse de la perte de sa virginité, de la confection d’une robe de scène ou des amours masculines ou féminines. Au fil du temps, elle se découvre ainsi le droit de pouvoir être libre de faire ce qui lui chante: boire, danser et fréquenter qui elle désire. Bien évidemment, l’entrée en guerre des États-Unis se profile à l’horizon et la jeune fille se trouve également mêlée à un scandale qui la contraindra de revenir habiter chez ses parents. Son expérience au Lilly Playhouse aura cependant changé à jamais sa perspective sur le monde et l’amener à faire des choix qui révéleront une indépendance dont elle s’ignorait auparavant capable. Bien que le récit ne soit pas un feu roulant d’actions de toutes sortes, il n’en demeure pas moins fascinant dans la justesse de la peinture sociale et des personnages attachants qu’il dépeint.
INFOS | Au bonheur des filles / Elizabeth Gilbert. Paris: Calman Lévy, 2020. 429p.