Jeudi, 6 février 2025
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    Saint-Narcisse, miroir de notre époque

    Bruce LaBruce a répondu à nos questions sur Saint-Narcisse, sans doute l’œuvre la plus poétique à ce jour de celui qui reste un provocateur. LaBruce sait user des contradictions et des chocs artistiques, narratifs et stylistiques pour susciter la réflexion. On ne surnomme pas pour rien le torontois — fin observateur de son époque —, d’enfant terrible du cinéma queer canadien.


    Ce drame fantastique, évidemment étrange, révèle un secret de famille, un amour interdit, et un frère jumeau dont l’existence même était inconnue et qui a été élevé dans un monastère dirigé par un prêtre fétichiste. Dans ce film, on parle du cinéma, de la mythologie grecque, de sexe et de sacré, mais surtout de l’obsession de soi. LaBruce croit que le narcissisme est devenu l’état psychologique par défaut, l’idéologie du nouveau millénaire, qui s’exprime, entre autres, par la culture du selfie et la dictature des médias sociaux où le moi, avec ses sensations et ses sentiments, constitue la seule réalité dont on est certain.

    À une époque de crise identitaire et d’amour excessif porté à l’image de soi, le moment était parfait pour une réinterprétation contemporaine du mythe de Narcisse, qui a inspiré tant d’artistes depuis l’antiquité.

    Qu’est-ce qui t’a poussé à réaliser Saint-Narcisse qui se déroule dans une petite ville québécoise dans les années 1970?
    J’ai un attachement romantique pour les films réalisés de la fin des années 60 jusqu’aux années 80. Ce sont mes années de formation où je suis vraiment tombé amoureux du cinéma. C’était aussi une période tumultueuse qui a vu l’émergence des mouvements gais, noirs et féministes, sans parler de la révolution sexuelle. Mais c’était aussi une époque où les films et les cinéastes faisaient exploser les conventions du cinéma narratif, démystifiaient les mythes et la machine du rêve, déconstruisaient et remettaient en question ses conventions formelles. J’ai aussi particulièrement aimé le cinéma québécois de l’époque, en particulier la trilogie de Paul Almond — «Isabel», «L’Acte du cœur» et «Journey»—, des films indépendants qui abordaient des sujets tabous comme l’inceste et l’intersection de la sexualité et de la religion. Et, d’une certaine manière, «Saint-Narcisse» est mon hommage à ce style de cinéma.


    Compte tenu de l’omniprésence des médias sociaux et des téléphones intelligents, penses-tu que le narcissisme a atteint un niveau inégalé?
    Indubitablement. Si l’ironie était le «white noise» idéologique des années 90, le narcissisme est le malaise contemporain, la sensibilité par défaut. Nous sommes tous narcissiques maintenant, obsédés et accrocs à l’écran de notre téléphone, comme devant un miroir suspendu. Les médias sociaux permettent et suscitent l’auto-absorption et la vanité les plus scandaleuses.

    Pourquoi le croisement entre le sacré et le profane te saisit-il encore?
    En tant que fervent agnostique, je n’ai jamais adhéré à une religion organisée, mais je suis fasciné par la vie des saints et à quel point ils sont souvent pervers et sexuellement fétichistes. Une grande partie de mes travaux récents, y compris dans ma photographie, se concentre sur l’intersection entre l’extase religieuse et sexuelle, et leur lien étroit, parfois indiscernable. Tout fétiche sexuel implique un certain culte de l’objet de l’amour, voire une forte dévotion religieuse. Le sexe est religieux, la religion est sexuelle. Fin de l’histoire.


    INFOS | Saint-Narcisse de Bruce LaBruce sera présenté lors du FNC en collaboration avec FUGUES
    nouveaucinema.ca

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