Dans FUGUES, nous inaugurons ce mois-ci un espace où nous donnons la parole à des personnes LGBTQ+ issues des communautés minorités visibles et /ou qui se trouvent dans un contexte d’immigration récente. Ce mois-ci, rencontre avec Lê Hông Quân… ou Gustave Le.
Tu es à Montréal depuis quand?
Je suis arrivé à Montréal, le 15 août 2018.
Tu es originaire de Dalat une ville située au cœur de Vietnam. Qu’est-ce qui t’a fait choisir Montréal comme destination ?
Ben, je n’avais pas beaucoup de choix au début, vu que les amis de mes parents habitent à Montréal et je restais chez eux pendant mes études. Mais Montréal me plaît depuis mon arrivée surtout grâce à sa diversité, son inclusivité et son ouverture d’esprit. Et j’aime bien la vie culturelle ici. On me trouvait souvent (avant la pandémie) à la Grande Bibliothèque et dans les musées.
Quand tu as décidé de venir à Montréal, tu ne parlais pas encore français. Pourtant tu comprends le français et le parles bien…
Au début, j’ai commencé à utiliser les applications (Memrise, Duolingo, Rosetta Stone, Babbel, etc.) et à lire les livres pour apprendre le français à la Grande Bibliothèque. Puis j’ai eu mon premier chum québécois qui m’a aidé à pratiquer la langue. Disons que la meilleure façon d’apprendre le français, selon moi, est au lit avec un amant/chum (rires). J’ai aussi pris des ateliers de conversation, quelques cours de français au YMCA et un cours de francisation donné par le gouvernement. En plus, le fait que j’étais enseignant d’anglais langue seconde m’a aidé un peu vu que je connais la méthodologie pour apprendre une langue par moi-même.
Quel a été ton premier contact avec la ville ?
Dans les pays asiatiques, surtout au Vietnam, le moyen de transport principal est la moto, et on ne voit pas ça souvent ici. Quand j’entrais dans l’auto au début, j’avais encore l’habitude de chercher mon casque, l’équivalent de la ceinture de sécurité ici. Mais bon, le vrai premier contact était ma grande aventure d’aller à… la banque pour m’ouvrir un compte le lendemain de mon arrivée. Je me trouvais dans un tout nouveau monde, où on parlait surtout une langue que je ne parlais pas. Une des premières phrases apprises ici était «Attention, la station Beaudry est fermée. Le service de navette est disponible à la station Papineau et Berri-UQAM. Merci de votre compréhension.» Je pouvais réciter la phrase sans la comprendre, jusqu’à ce qu’une québécoise à l’école m’explique ce que cela veut dire.
Puis, je n’ai jamais vu autant de travaux dans une ville auparavant… J’étais aussi surpris de voir les autos arrêter quand un piéton essaie de traverser la rue. Chez nous, les véhicules évitent les piétons sans jamais arrêter – et pour les étrangers, ça peut sembler presque impossible de traverser la rue par exemple.
Et avec la communauté LGBT, ici?
Les premières rencontres se sont faites via les applications, bien sûr, mais pour la communauté, au sens organisationnel, ça a commencé quand j’ai fait du bénévolat pour image+nation, en 2018. Je me souviens avoir pleuré, d’une projection à l’autre, dans le cinéma en écoutant les films LGBTQ+. C’était la première fois que je pouvais m’identifier à des personnages à l’écran. La représentation de la communauté LGBTQ+ au Vietnam est différente, surtout dans les petites villes. Les gais sont perçus comme des personnes très étranges. Sur les écrans au Vietnam, lorsqu’on voit une personne gaie à l’écran, c’est généralement pour faire rire. Je me souviens que la première fois que j’ai tenu la main d’un homme dans le Village, sur la rue, j’étais tout ému. Car je n’ai pas perçu de regards négatifs de personne.
Qu’est ce qui te plait le plus dans la ville ?
La vie multiculturelle. La diversité de l’offre culinaire. Les festivals gratuits dans la rue.

Tu t’es impliqué comme bénévole à image+nation. Qu’y fais-tu?
En 2018, j’ai aidé à vendre les billets et les vérifier avant la projection. En 2020, j’étais chargé des communications, et avec mon équipe, nous avons géré les campagnes publicitaires du festival sur les réseaux sociaux, nous avons rédigé les communiqués et les dossiers de presse, produit les infolettres et le reste du matériel de marketing. Il fallait maintenir une forte présence en ligne afin de promouvoir la tenue du festival sur les réseaux sociaux et gérer les communautés en ligne.
Depuis décembre dernier, tu travailles comme aide de service en lien avec la COVID. Parles-nous un peu de ton travail…
En tant qu’aide de service/agent COVID dans un CHSLD, la partie la plus importante de mon travail est de donner une présence aux résidents. Avec la pandémie, la plupart des bénéficiaires n’ont pas beaucoup de visites (étant donné que seulement les proches aidants peuvent y venir en ce moment), et les aînés s’ennuient. Quand je suis au travail, je donne mon maximum pour qu’ils puissent se sentir mieux, en leur parlant, en faisant des blagues et en jouant aux cartes avec eux. C’est tout un monde les CHSLD.
Tu es venu grâce à un permis de travail je crois…
En fait, je suis venu grâce à un permis d’étude. Et maintenant, j’ai un permis de travail post-diplôme, c’est-à-dire un permis de travail ouvert.
Qu’elles sont tes intentions pour la suite des choses ?
Prochainement, je vais essayer d’immigrer ici en faisant le PEQ Travail, un programme qui exige que j’occupe un emploi de niveau 0, A ou B à temps plein pendant au moins deux ans. Toutefois, même si on parle français, c’est plus difficile d’immigrer au Québec que d’immigrer dans une autre province. Et avec la pandémie, la démarche est encore moins évidente. Alors on verra comment ça marchera…
Avant d’arriver au Canada étais-tu ouvertement gai au Vietnam?
Ouvertement, non. Ceux qui le savaient le savaient. Il faut comprendre que c’est péjoratif, mal vu, d’être gai au Vietnam, surtout dans les petites villes comme celle d’où je viens. Les préjugés envers les gais sont grands. Cela dit, ce n’est pas illégal d’être gai, on peut même y organiser une cérémonie d’union entre deux personnes de même sexe, mais ça reste symbolique, ce n’est pas encore reconnu sous la loi. D’habitude, on parle du chum comme de l’ami/coloc qui est toujours là. Quand j’ai fait mon coming-out à ma famille, un jour, ma mère m’a démandé si j’étais «défectueux».

Tu peux raconter comment ça s’est passé ?
«Défectueux» — c’est le mot en vietnamien pour décrire quelqu’un qui n’est pas hétérosexuel. Alors quand ma mère m’a démandé si j’étais «défectueux», j’ai pris une grand respiration et j’ai répondu: «Oui, je suis défectueux». Ensuite, elle m’a demandé si c’était biologique ou psychologique (si c’était psychologique, elle m’aurait proposé de voir quelqu’un comme un psy pour une thérapie de conversion) et j’ai dit 100% biologique, car je ne considère pas avoir de problèmes… rires. Alors, elle m’a demandé si j’étais une femme qui se trouve dans le corps d’un homme. J’ai dit, non plus. Je suis simplement un homme, mais j’aime les autres hommes. Puis, elle a s’est mise à pleurer, en disant qu’elle ne comprenait pas pourquoi c’était le cas… comme tout le monde dans la famille est «normal».
Le lendemain, elle m’a assis dans le salon, pour me dire que même si que j’étais pas comme les autres ma famille sera toujours là pour moi. Qu’on m’aime et m’aimera malgré ma préférence sexuelle, malgré ma différence. J’étais vraiment soulagé car j’ai plusieurs fois imaginé que je devrais garder cela secret jusqu’à ma mort.
Es-tu en contact avec ta famille ?
Je suis toujours en contact avec ma famille. Habituellement on fait des appels vidéo sur Facebook Messenger une fois par semaine. Ces temps-ci (alors qu’on célèbre le nouvel an lunaire), les appels durent plus longtemps (genre une heure et demie/appel) pour que je puisse fêter avec eux. Quand la pandémie nous a frappés, j’étais censé aller voir ma famille en personne après deux ans passés ici. Mais la pandémie a changé mes plans, comme pour tout le monde (rire).
Ton nom est Le Hong Quan, Le c’est comme le nom de famille?
Oui, Le c’est mon nom de famille, et mon prénom est Hong Quan (Hong est plutôt mon deuxième prénom, et Quan est mon prénom), qui veut dire l’arme rouge en vietnamien (ouais, c’est un nom assez communiste). Les noms vietnamiens sont à l’inverse par rapport à ici. Ce n’est pas un nom difficile à écrire. Par contre, à l’exception des Vietnamiens, il n’y a presque personne qui peut prononcer mon nom correctement ici (rire). Pendant mes études à Montréal, j’ai entendu au moins 50 versions différentes de mon nom. Même mon premier et mon deuxième chums québécois ne sont encore pas capables de le prononcer correctement…
Tu te fais appeler Gustave pour ça?
Je ne veux ni être « le gars asiatique avec un nom imprononçable » ni rappeler au monde mon nom à chaque fois qu’on se voit. Gustave, ça vient de mon artiste préféré, Gustave Courbet – le père du réalisme. Aussi, ça se comprend bien dans plusieurs langues : en anglais c’est Gus, en espagnol c’est Gustavo, en allemand Gustaf, etc. Ça me donne la motivation pour apprendre plusieurs langues (rire).
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Âge ? 24 (bientôt 25)
Quartier où tu demeures ? Village gai
Tes passes-temps préférés? J’aime écouter les fims, lire, jouer à des jeux, et faire de l’improvisation au théâtre (sur Zoom maintenant avec la pandémie).
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Par cette démarche, nous désirons participer à l’échange naturel des expériences individuelles. Nous croyons qu’en sensibilisant l’ensemble des lecteurs.trices de FUGUES, nous pourrons enrichir la collectivité de nos différences.