James Bidgood est mort hier à New York, à l’âge de 88 ans. Il a réalisé une œuvre homoérotique marquante qui a inspiré des générations d’artistes.

À l’instar de Tom of Finland, mais différemment, ce new-yorkais originaire du Wisconsin a défini en quelques images une certaine idée de la beauté masculine: de jeunes éphèbes à la beauté irréelle, lascivement installés dans des tableaux surréalistes souvent inspirés par la mythologie.
Bien qu’inconnu du grand public, il a influencé Pierre et Gilles, David Lachapelle, Rainer Fassbinder, Todd Haynes, Bruce LaBruce, pour n’en nommer que quelques-uns.
À l’annonce de son décès, le réalisateur Bruce LaBruce a réagi :
Sur Facebook, l’historien queer Gerard Koskovich, membre fondateur de la GLBT Historical Society de San Francisco, écrit :
«In memoriam James Bidgood (1933–2022) : Un photographe et réalisateur américain qui rêvait d’un monde coloré de sensualité homoérotique durant les années les plus noires de l’homophbie d’Etat — puis qui a capturé des images de ces rêves en utilisant du papier d’alu, du tissu, des babioles, un bric-à-brac et des lampes colorées bricolées dans son petit appartement».

Fasciné par les comédies musicales de Broadway, Bidgood débarque à 18 ans à New York et fréquente les milieux artistiques homosexuels en vogue dans les années 1950. Au début des années 60, il gagne sa vie en tant que costumier à Broadway et comme drag queen au Club 82.
Durant ses temps libres, pour arrondir ses fins de mois, il commence vendre à des magazines homoérotiques, comme Muscleboy, des photos de modèles qu’il prenaient pour son propre plaisir.
Avec les années, il développe une approche artistique spécifique, à la mise en scène très travaillée, à la manière d’un spectacle grandeur nature avec décors, où les jeunes hommes, nus ou légèrement vêtus, souvent recouverts d’un éclat scintillant de vaseline, posent dans des paysages imaginaires alors qu’ils sont drapés sur des lits ou dans des champs de fleurs, sous l’océan ou habillés en matadors scintillants ou en faunes ou en satyres aux oreilles pointues. Combinant des couleurs vibrantes, un éclairage dramatique et des décors baroques, ses photographies donnent vie à un monde fantastique fiévreux et onirique à un pas de la réalité.
S’appuyant sur son expérience de couturier, de créateur de costumes et d’interprète drag, Bidgood évoque dans ses photos un monde exotique et fantasmatique qu’il créé de ses propres mains avec une artificialité accrue et une sensibilité camp.

Puis Bidgood se lance dans un projet fou. Pendant sept ans — de 1963 à 1970 — seul dans son petit appartement du quartier de Hell’s Kitchen, il réalise ce qui deviendra son chef d’œuvre: Pink Narcissus. Un film tourné en Super 8 pour lequel Bidgood endosse tous les rôles: réalisateur, décorateur, costumier, maquilleur…
L’idée de Pink Narcissus nait en 1962 lorsque Bidgood croise le chemin de Bobby Kendall, un jeune latino à la beauté sublime, qui deviendra sa muse et la vedette de son film. Pink Narcissus raconte l’histoire d’un jeune homme gai cloîtré dans sa chambre, qui s’imagine tour à tour en torero, sultan ou prostitué et qui finit par tomber amoureux de son propre reflet.

En 66 minutes, Pink Narcissus est un petit bijou de film gai extra-kitsch coulant d’érotisme (et quelques gouttes de sperme). Le film, tourné en Super 8, met en scène un éphèbe aux lèvres pulpeuses et fesses rebondies (Bobby Kendall), épris de son image, qui tour à tour endosse le rôle d’un toréador, un sultan, un prostitué… pénétrant tendrement le sol ou léchant ses doigts dans l’écrin d’un monde de carton-pâte, garni de miroirs et de lumières flashy, roses, bleues ou or.
Bien qu’il considère que le montage de son film n’est pas terminé, Bidgood se voit pressé par des financiers qui ne veulent plus attendre, de leur rendre unecopie pour que le film soit distribué. Bidgood refuse que son nom y soit mêlé, signant le film d’un rageur « Directed by : Anonymous », ce qui alimente les fantasmes sur l’identité réelle de son auteur. On pense alors à Andy Warhol ou Kenneth Anger, et le film est projeté dans des salles des grandes villes américaines, retirant l’érotisme gai des marges pour le faire entrer dans une culture américaine plus large au moment où les États-Unis vivent une révolution sexuelle.
Et au fil des ans, le film devient un objet de culte auprès des artistes et des étudiants en cinéma.

L’anonymat de son auteur sera levé, en 1999, par l’écrivain Bruce Benderson, qui consacre à Bidgood un très bel ouvrage chez Taschen (réédité à deux reprises).
Le film sortira même en DVD en 2003, après une tournée des festival de films gais, grâce à la société Strand Release. Le film maintenant disponible sans frais sur le site Internet Archive :