À l’affiche !

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Julie Vaillancourt
Julie Vaillancourt

Si novembre est le mois des morts, le mouvement lesbien semble plus vivant que jamais ! Du moins, au sein de deux initiatives artistiques auxquelles j’ai eu la chance de participer.

Ciseaux
Commençons par la pièce de théâtre Ciseaux. (Si vous ne comprenez pas l’aspect provocateur du titre ou que vous croyez que le sujet porte sur un salon de barbier, vous n’êtes probablement pas le public cible.) Après le succès de la pièce Rock Bière : le documentaire, présentée l’an dernier à l’Espace Libre, la compagnie Pleurer Dans’Douche — chapeautée par le couple formé de Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau (alias RV métal et Rock Bière dans la peau de leurs drags king respectifs) — continue sa réflexion sur la sous-représentativité des femmes LGBTQ+ avec le spectacle Ciseaux. Les deux femmes désirent se réapproprier une fois de plus les clichés lesbophobes afin de renverser les dynamiques de pouvoir. Pour ce faire, des numéros de drag et des prises de parole de personnalités de la communauté LGBTQ+ viennent raviver la mémoire queer de Montréal d’un point de vue féministe. J’ai eu la chance d’y prêter ma voix, au même titre que les Line Chamberland, Manon Massé, Safia Nolin, Calamine, Judith Lussier, Monique Giroux, Eugénie Lépine-Blondeau et j’en passe. J’ai hâte de découvrir comment nos mémoires et nos témoignages seront transposés par le biais du médium théâtral et documentaire. Une chose est certaine, notre parole passe par la réappropriation et la visibilité et l’art nous permet de transmettre cette parole.

AHLA
C’est dans cette optique que j’enchaine sur une seconde initiative artistique pour laquelle j’ai eu la chance de m’impliquer davantage, notamment en coréalisant avec Dominique Bourque et Johanne Coulombe le documentaire Amazones d’hier, lesbiennes d’aujourd’hui : 40 ans plus tard, qui sera présenté lors de la 35e édition du festival Image + Nation. Le film de 56 minutes propose un retour en images sur la création d’AHLA, le collectif lesbien à l’origine de la vidéo du même nom tournée en 1979 et de la revue également éponyme parue entre 1982 et 2014. S’appuyant sur des entretiens réalisés en mai 2021 ainsi que sur des images d’archive, le documentaire met en lumière les quatre membres
fondatrices du collectif — Gin Bergeron, Ariane Brunet, Louise Turcotte et Danielle Charest (1951-2011) — et la nécessité de documenter nos existences. Le décès soudain de la coréalisatrice Johanne Coulombe en juillet 2021, alors que le film n’était pas encore terminé, rend d’autant plus pertinent et important ce travail de mémoire.

Ma première rencontre avec AHLA remonte aux bancs d’école. Alors à la maitrise, je m’intéressais à la représentation des gais et des lesbiennes dans le cinéma québécois des années 1960 à 1980. L’histoire d’AHLA me fascinait, bien que je n’aie trouvé que très peu d’informations sur le sujet… Au terme de mes études, je me souviens avoir noté dans ma « liste de choses à faire » (on a tous ce genre de liste, n’est-ce pas ?), celle de réaliser un documentaire avec des portraits de lesbiennes, dans le but de sortir de l’ombre leurs réalités et leurs voix, puis de les rendre accessibles sur pellicule, telles des archives filmées. Puis, tel le destin qui vous répond, plus d’une décennie plus tard, alors à l’emploi du Réseau des lesbiennes du Québec, Johanne et Dominique sont venues à moi avec leur projet de film sur AHLA. Lors du tournage du documentaire, je me souviens que Johanne m’a dit en toute humilité : « Merci de m’aider à réaliser mon rêve ! » C’est à ce moment que je l’ai plutôt remerciée de se permettre de rêver et de nous donner la chance d’y prendre part.

Comme tout projet de film indépendant, la réalisation du documentaire a été parsemée de hauts et de bas, de difficultés techniques, humaines et financières, sans compter que nous étions en pleine période de pandémie de la COVID-19. Puis, juste avant d’entrer dans le rush de postproduction, il y a eu cette fatalité : la mort de Johanne. Celle qui portait ce rêve à bout de bras. Il y a néanmoins dans cet évènement tragique (après la période de torpeur et d’inertie due au deuil), cette volonté de porter à l’écran le rêve d’une grande militante. C’est alors que comme nombre de films, il fut « réécrit », d’une certaine manière, au montage.

Dominique et moi sommes ensuite entrées dans un dialogue créatif inspiré afin de porter au mieux à l’écran la parole et le message de ces membres fondatrices d’AHLA. Si nous étions toutes deux convaincues de l’importance du document archivistique, il nous fallait toutefois trouver une façon de mettre en scène cette histoire passionnante. Si j’étais tombée en amour avec l’histoire d’AHLA sur les bancs d’une école de cinéma, je me disais que mettre en scène le médium, celui-là même qui a permis au collectif de rendre visible son militantisme, était une mise en abyme fort intéressante, qui pourrait nous servir à mettre en lumière le travail de Gin, Ariane, Danielle et Louise, 40 ans plus tard. C’est pourquoi le film est parsemé de références au cinéma, de scènes du tournage, sans compter cette pellicule qui lie le récit avec la photographie, autre médium archivistique incomparable. Merci aux photographes ayant prêté leurs œuvres en ce sens, je pense notamment à Marik Boudreau et Suzanne Girard.

Pour moi, le cinéma est l’un des véhicules artistiques et médiatiques les plus puissants pour rendre compte des réalités marginalisées, pour véhiculer des messages forts, éduquer divers publics et, bien sûr, raconter nos histoires. Raconter l’histoire d’AHLA, 40 ans plus tard, c’était aussi raconter la force de la parole des femmes activistes québécoises conjuguée à la force de la vidéo militante. Une parole et un médium formant une voix singulière, une archive lesbienne unique et significative. À cet effet, je vous invite à prendre part à la discussion qui aura lieu lors de la projection du documentaire dans le cadre de la 35e édition du festival Image + Nation !

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