Jeudi, 23 mars 2023
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    Le genre ! Peut-être le temps de l’effacer

    Cette année on souligne le 20e anniversaire du décès de la théoricienne lesbienne, Monique Wittig. Pour celles et ceux qui ont un peu de mémoire et de connaissance historique, elles et ils se souviendront à quel point ses réflexions ont suscité des polémiques à l’intérieur même des mouvements féministes, et ce, dès les années 70. Il était déjà question de genre. Comme quoi, cette réflexion n’est pas née d’il y a quelques mois, comme certain.e.s voudraient nous le faire croire.

    Monique Wittig refusait de se définir comme femme. Une catégorisation créée spécifiquement, selon elle, par et pour les hommes. Elle s’opposait aussi à cette affirmation de Simone de Beauvoir qui disait qu’on ne naissait pas femme, mais qu’on le devenait. Mais Beauvoir éludait la question première. Qu’est-ce qu’une femme ? Ou encore devait-on ou pouvait-on devenir une femme dans un monde patriarcal qui en avait depuis longtemps tracé le cadre, limité les pouvoirs, et surtout assujetti les femmes à leur domination ?
     
    Ces questions sont toujours d’actualité ou peut-être ont-elles gagné en actualité ces dernières années et, si elles ne trouvent pas de réponses claires et déterminées, elles ont le mérite de mettre en relief tous les points d’achoppement, tout ce que les genres tels que définis aujourd’hui et souvent contestés ont de réducteur.
     
    Si je ne me définis pas en tant qu’homme, je ne me définis pas non plus comme femme et je ne cherche pas, quel que soit mon genre officialisé sur mon acte de naissance, à le cultiver ou à le changer. Je ne me reconnais ni dans l’un ni dans l’autre et je ne me reconnais pas plus dans cette idée qui a vécu au XXe siècle, celle du troisième sexe. Faut-il en comprendre que je serais et l’un et l’autre ?
     
    Non, car en étant et l’un et l’autre, cela signifierait que j’adhère alors à l’idée qu’il y aurait deux modèles, homme/femme, masculin/féminin, entre lesquels je me promène au gré des mes humeurs ou encore, pour reprendre un mot « tarte à la crème » tellement galvaudé aujourd’hui, au gré de mon ressenti.
     
    En gardant les deux catégories, hommes/femmes, que l’on choisisse l’une ou l’autre, on se définit toujours en opposition ou en ressemblance par rapport à ces deux modèles rigides. Et plus encore, il est impossible de faire l’impasse sur la domination de la première catégorie, celle des hommes, sur la seconde, celle des femmes. Je pourrais multiplier les exemples qui illustreront, sans doute possible, cette subordination des femmes aux hommes, entre autres pour tout ce qui touche aux caractères. La faiblesse pour les unes et la force pour les autres, ce qui logiquement légitimerait la hiérarchie.
     
    Pour plusieurs jeunes gais, et j’en fus, l’enfance a été une période où il leur a été reproché — souvent violemment — de ne pas correspondre à leur genre de naissance, auquel ils auraient dû se conformer. Je dois dire que, comme beaucoup de mes pairs, j’ai tenté de me conformer entre autres pour assurer ma sécurité, mais cela n’a pas fonctionné. Je ne collais pas au moule dans lequel je tentais, sûrement maladroitement, de m’insérer. Aussi bien dans la famille que dans l’institution scolaire, en fait dans tous les espaces sociaux, on me renvoyait l’image de la tapette, de la petite fille manquée et d’autres vocables qui s’inscrivent et restent sur votre peau avec la force d’un tatouage non choisi.
     
    Si l’on me traitait de fille, c’était pour me réduire à l’état de sous-humain, ou plutôt de sous-humaine. Et dans ma petite tête butée, je ne comprenais pas que les femmes de mon entourage puissent être moindres.
     
    J’ai su très tôt que je ne serai jamais un homme tel qu’on me l’a vendu toute mon enfance, mon adolescence, puis à l’âge adulte, mais que je ne serai pas non plus une femme, que je ne me plierai jamais à adopter ni le comportement ni les attitudes d’une fille ou, plus tard, d’une femme. Et que je ne me plierai jamais aux injonctions qui me venaient de la part des hommes, qui voulaient décider de ce que devrait être mon genre. Je ne serai ni l’un, ni l’autre. Et c’est une des raisons pour lesquelles je n’ai pas embarqué dans la grande mode de la « virilisation » chez les gais, pour ne plus apparaitre comme des demi-hommes, des sous-hommes, dans la recherche forcenée d’un corps sur lequel aucun doute ne pourrait se fonder. Du muscle, de la barbe, des gestes excluant toute connotation à caractère féminin. Et c’est aussi pourquoi je refuse les symboles vestimentaires emblématiques du patriarcat que sont les costumes, les cravates et les nœuds papillon, l’uniforme quasi militaire qui affiche ainsi son pouvoir.
     
    Bien sûr, je peux me revendiquer non-binaire, mais c’est me définir à partir de deux catégories existantes et bien loin de les abolir, je suis obligé de les légitimer pour pouvoir exister à côté. Je ne veux pas que l’on crée une troisième classe, alors que je voudrais dissoudre les deux classes existantes.
     
    Comment faire autrement alors ? Beaucoup de jeunes se penchent sur ses questions, émettent des hypothèses, théorisent et expérimentent autour de ces questions et ils et elles sont souvent raillé.e.s. On se moque de leur volonté d’imposer des pronoms neutres, de ne plus se définir comme hommes ou femmes, de se jouer des catégories en les déconstruisant, en les aménageant à leur sauce, en imaginant d’autres catégories. Utopies pour certain.e.s, même si les utopies sont souvent les réalités de demain. Mais au moins, ils et elles osent, ressentent profondément le carcan oppressif des deux genres qui planent sur nos corps et sur notre façon de penser depuis notre naissance. Ils et elles en ont compris les limites et creusent d’autres sillons de réflexion que nous ne devrions pas rejeter d’un revers de la main.
     
    Quand Monique Wittig publie son premier roman, L’opoponax, dans lequel elle rend caduque la notion de genre, nous sommes en 1964, et l’auteure n’a pas 30 ans. Elles et ils sont nombreux et nombreuses, ici comme ailleurs, à remettre en question, à bousculer, à déconstruire et à proposer d’autres voies sur la notion de genre. Ce mois-ci, au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, Olivier Arteau présente Pisser debout sans lever sa jupe et il nous plongera avec ses camarades dans cette complexe réflexion identitaire pour tenter de s’auto définir en dehors et contre le poids des deux catégories aliénantes du genre. Il n’y aura pas encore de réponse, mais cela apportera une grande bouffée d’air salutaire.  

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