La naissance d’un peintre québécois dont le travail ne ressemblait à celui d’aucun.e de ses collègues il y a plus d’un siècle. Des amours homosexuelles impossibles. Un peintre de la modernité vivant avec un trouble (la prosopagnosie) qui l’empêche de reconnaitre les visages. Un tableau caché entre les murs d’un immeuble du Vieux-Montréal, qui le pousse à découvrir ses origines. Des allers-retours dans le temps. C’est tout ça et même plus qu’on découvre dans L’invention d’un visage (Leméac), le premier roman éclatant et étonnant de maitrise du peintre Mathieu Laca.
Quelle place occupait l’écriture dans ta vie avant d’écrire ce livre ?
MATHIEU LACA : Une place secrète. Adolescent, j’étais tiraillé entre l’idée d’écrire ou de peindre. Les circonstances m’ont amené à étudier en peinture. J’ai souvent écrit sur ma peinture. Et depuis ma rencontre avec l’auteur et éditeur Jean Barbe, mon écriture a pris la forme d’un roman, ce que je n’avais jamais réussi auparavant. Il a vu mon portrait de Michel Tremblay, qui apparait en couverture des Chroniques du Plateau. Il était intéressé à avoir son portrait dans mon style. Je lui ai proposé de le faire en échange de ses conseils. Il m’a bien guidé et il a rapidement exprimé son intérêt à le publier.
Que ressens-tu en faisant tes premiers pas dans une autre discipline artistique ?
MATHIEU LACA : Il faut que je me pince ! Avant de tenir le livre en papier entre mes mains, une petite voix me disait que ça ne fonctionnerait pas. Donc, maintenant, de le voir dans le monde, sur les cubes des librairies, et recevoir les éloges de Michel Tremblay, je trouve ça extraordinaire.
Exprimes-tu une facette différente de ta personne, selon le médium que tu utilises ?
MATHIEU LACA : Je demeure la même personne et je puise dans le même bagage psychologique pour créer. Mon esthétique est semblable en peinture et en écriture. Mais l’écriture est un rapport totalement différent au temps. C’est très long ! Ça demande beaucoup de planification, de rêverie et de cogitation. Ça t’absorbe. Il faut que tu aies un monde entier à l’intérieur de ton cerveau. La peinture est un art immédiat : tu fais une marque et tu vois le résultat tout de suite. Tu peux faire une toile dans une journée. Une personne peut en analyser les détails ou les éléments d’ensemble en un seul coup d’œil, alors qu’un roman demande un investissement de plusieurs heures.
Pourquoi as-tu inclus la prosopagnosie dans ton histoire ?
MATHIEU LACA : Je n’ai pas tant d’intérêt pour ce trouble, mais il me permettait de parler d’identité, des visages et de présenter l’art du portrait comme un remède à ce trouble-là. Toutes des questions qui m’intéressaient.
Tu écris à la fois au « JE » et au « IL ». Tu passes d’une époque à l’autre. Tu touches à plusieurs genres littéraires : le drame, la romance, le thriller et le fantastique. Pourquoi ces mélanges ?
MATHIEU LACA : Je voulais quasiment qu’on lise le livre en se demandant si c’est de la littérature. J’avais envie de quelque chose d’unique auquel on n’est pas habitué et de contrecarrer les attentes des lecteurs. Au final, tu as quand même une expérience de lecture satisfaisante, car tu as vécu quelque chose. Pour moi, c’est ça, la littérature.
Quand un spécialiste analyse le tableau retrouvé entre les murs, il parle d’une façon de peindre en avance sur son temps. Pourtant, le peintre, que tu mets également en scène dans plusieurs passages, ne semble pas créer pour être différent des autres, mais pour suivre une impulsion, non ?
MATHIEU LACA : Absolument. On peut faire quelque chose de profondément personnel, qui répond à un besoin viscéral, et être en avance sur son temps. Souvent, je pense que ce qui est en avance, c’est tout simplement quelque chose de très personnel, alors que le public ne possède pas encore les codes pour l’apprécier. Par exemple, l’œuvre de Van Gogh répondait à un besoin très personnel, mais son public n’était pas encore né. Cette grosse couche pâteuse et ces couleurs délirantes ne correspondaient pas au goût de l’époque.
Pourquoi les amours impossibles homosexuelles sont-elles aussi présentes dans cette œuvre ?
MATHIEU LACA : Quand j’étais ado, la diversité sexuelle n’était pas acceptée comme elle l’est maintenant. Mes premières amours étaient impossibles, cachées, non dites. Ces expériences-là forgent qui on devient plus tard. Et je trouve que les gais ont souvent une forme de retard sentimental. Dans ma génération, on n’est pas arrivé à vivre ce que les hétéros vivent à un certain moment, parce que tout était caché. On a comme un délai d’au moins 10 ans pour atteindre la même maturité sentimentale. À l’inverse, la sexualité peut être beaucoup plus jubilatoire, car le sentiment d’interdit y est rattaché. Ce sont des généralités, mais je crois qu’il y a un fondement de vérité.
À quel point était-ce rassurant de traiter de peinture et du rapport à l’image dans ton premier roman ?
MATHIEU LACA : Quand on se lance dans l’écriture d’un roman sans l’avoir fait auparavant, il faut apprendre toutes sortes de choses, alors je trouvais ça préférable de parler de ce que je connais, de mon jardin. La peinture s’imposait. Je voulais en parler sans que ce soit un roman qui s’adresse uniquement à des peintres, avec des termes trop techniques ou des références culturelles que les gens ne connaissent pas. J’ai lu plusieurs livres avec des personnages de peintres qui perpétuent des clichés romantiques associés aux peintres. Certaines choses secondaires prennent trop d’importance. De mon côté, je pratique la peinture, ce qui est assez rare, et j’ai la capacité d’écrire. Donc, ça fait de moi quelqu’un qui peut écrire là-dessus. J’ai aussi appris plein de choses sur la peinture au Québec. On pense souvent que notre histoire est tellement récente qu’elle n’est pas intéressante ou qu’avant le Refus global, il n’y a pas grand-chose. J’avais envie de donner un avant-goût de notre tradition.
Quelle place veux-tu donner à l’écriture dans ton futur professionnel ?
MATHIEU LACA : Maintenant que j’ai croqué la pomme, c’est sûr que je vais écrire d’autres livres ! Je vais probablement consacrer quelques mois à l’écriture, quelques mois à la peinture, sans trop mélanger les deux.
En terminant, parle-moi de ton exposition Écrivain·e·s d’ici.
MATHIEU LACA : Du 18 mai au 4 juin, je vais présenter une trentaine de portraits d’écrivains : Larry Tremblay, Michel Tremblay, Michel Marc Bouchard, Dominique Fortier, Caroline Dawson, Gabrielle Boulianne-Tremblay, Simon Boulerice, Jean Barbe, Audrey Wilhelmy et plusieurs autres, dont certain.e.s sont décédé.e.s. Au total, il y aura une vingtaine de portraits à l’huile et des dessins. Ce sera présenté à la galerie Salon Art Club, au 1060, avenue Laurier Ouest dans Outremont. Le vernissage aura lieu le 18 mai de 14 h à 20 h.
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