Ce fut un lancement assez inusité au café de la SAT sur Saint-Laurent et qui a fait salle comble le 1er juin dernier. Mais de quoi s’agissait-il ? Un groupe de chercheurs de l’Université de Montréal lançait le balado « Chemstory » (Chemstory.ca) pour raconter les expériences vécues par des personnes qui pratiquent ou pratiquaient le « chemsex » (sexe avec usage de drogues comme le crystal meth ou Tina, entre autres). Un travail de longue haleine entrepris depuis 2019. Parfois drôles, parfois interrogateurs et souvent touchants, ces témoignages mettent en lumière un phénomène encore tabou dans la communauté LGBTQ+ d’ici.
Une foule de plusieurs dizaines de personnes s’était donné rendez-vous dans ce petit café pour la présentation des chercheurs, mais également pour entendre plusieurs extraits du balado (podcast). Le plus intéressant est que, normalement, un podcast s’écoute dans ses oreilles, de manière personnelle, en privé, presque dans sa « bulle ». Or là, « c’était plutôt une expérience collective, les gens écoutaient attentivement, avec beaucoup d’empathie, de solidarité, ils n’étaient pas sur leur téléphone, on sentait de l’émotion, il y avait ce besoin d’être connecté aux autres […] », de dire Olivier Ferlatte, le chercheur principal et professeur adjoint chercheur Boursier Junior 1 du Fonds de recherche du Québec – Santé.
La stigmatisation, la discrimination, le rejet, la recherche de soi, le sexe, la drogue, l’isolement, la dépression ne sont que quelques-uns des nombreux thèmes abordés dans les témoignages des participants à ce balado. « [Ce balado] est une mine d’or sur la communauté, parce qu’on y parle d’identité de genre, de sexualité, de stigmatisation, d’expériences très personnelles, etc. […] À écouter les voix des personnes concernées, j’en ai presque les larmes aux yeux parce que c’est rare de les entendre s’exprimer souvent ainsi […] », souligne Olivier Ferlatte qui est au département de médecine sociale et préventive, École de santé publique de l’Université de Montréal.
Même si cela est une recherche universitaire, les gens apprennent à travers des formations techniques à faire leur propre balado, ce sont eux qui décident des sujets qu’ils vont aborder et s’ils vont le faire avec leur propre voix ou de manière anonyme (avec la voix déguisée).
Comme le disait un participant dans l’un des extraits qu’on a pu entendre : « […] on choisit de consommer, mais pas de devenir dépendant […] ». Combien de fois a-t-on pu entendre en effet des histoires d’overdose, d’individus qui perdent leur emploi, leurs économies, qui tentent de suicider, etc. « Cela m’a pris quatre thérapies et dix ans d’expérience pour comprendre et pour trouver comment vivre avec cette dépendance qu’est le chemsex, d’expliquer André Patry, un militant de longue date et participant au balado Chemstory.
Une maladie nouvelle et particulière à la communauté gaie. Je ne me suis jamais vraiment reconnu dans les thérapies en toxicomanie et j’avoue que les intervenants que j’ai fréquentés avaient peu ou pas de connaissances ni sur le phénomène, ni sur la culture et la communauté des personnes consommatrices de chemsex. Humblement, je me suis donc dit qu’avec mes expériences et mon vécu, je pouvais peut-être éclairer ou du moins sensibiliser les personnes qui s’interrogent sur la question. C’est drôle, mais je me sens animé par la même mission que j’avais dans les années 1990 lorsque je militais pour les droits des gais et lesbiennes. Je voulais que les gens comprennent ce qu’est le jugement et l’ostracisation d’un groupe de personnes par la société qui l’entoure. N’en reste pas moins que je demeure réaliste, car, pour être honnête, je ne pense pas que l’on peut comprendre les effets de cette drogue si on n’a jamais vécu ce qu’est le chemsex sur le crystal. Les sensations sont inhumaines et tellement intenses, que si je peux vulgariser, sensibiliser et éduquer les gens sur cette réalité, ma mission sera réussie. »
« Chemstory ne ressemble à aucune autre chose, c’est aussi une communauté de gens [qui racontent leur histoire] », a souligné pour sa part Patrice St-Amour, le coordonnateur du programme Chemstory.
Un financement des Instituts de recherche en santé du Canada (IRCS) permettra au programme de se poursuivre pour y inclure en tout 90 épisodes, donc l’enregistrement continuera pour deux à trois ans supplémentaires.
« Nous espérons aussi que cette recherche, avec les expériences des participants au balado, nous permettra d’avoir de meilleurs services d’aide et de soutien à ces personnes-là et de faire tomber les préjugés et changer ainsi les mentalités », croit Olivier Ferlatte. Ces balados sont disponibles sur Chemstory.ca, sur Spotify ou sur d’autres plateformes gratuites.
Petite note ici, le visuel du projet Chemstory a été conçu par l’artiste dessinateur Sylvain Rolando (Oh ! Mon Doux !) que l’on a vu l’an dernier au Festival Mtl en Arts et qui récidivera cet été encore.
INFOS | Ces balados sont disponibles sur Chemstory.ca, sur Spotify ou sur d’autres plateformes gratuites.