Les victimes ont été attirées dans un parc via une application de rencontre, puis frappées et insultées. «Au début, je n’ai vraiment pas compris ce qu’il se passait», se souvient Cédric (nom d’emprunt). «Ensuite, quand j’ai compris, j’ai tout fait pour éviter qu’on me casse la gueule. Le mode survie s’est allumé, et à ce moment-là, tu fais tout ce qu’on te dit pour éviter que ça ne parte pas plus loin».
Cédric a livré ce témoignage dans le cadre d’une enquête qui fait beaucoup parler d’elle à Bruxelles où cinq hommes homosexuels ont récemment déposé plainte après avoir été agressés, battus et insultés dans un parc de la capitale.
A chaque fois, le mode opératoire s’est révélé le même, explique le quotidien francophone Le Soir qui livre l’information. «Un rendez-vous est fixé via une application de rencontres populaire auprès des hommes homosexuels, à l’aide d’un faux compte. Lorsque la victime se rend sur les lieux convenus, généralement un parc, un groupe de personnes l’y attendent et s’en prennent à elle physiquement en la rouant de coups et en l’insultant sur la base de son orientation sexuelle ou de son identité de genre», écrit le journal.
Les enquêtes sont en cours
Ces agressions remontent aux deux dernières semaines du mois de juin. Elles auraient eu lieu à l’ouest de la capitale, à la fois sur le territoire de la zone de police Bruxelles-Ouest (Molenbeek, Jette, Berchem-Sainte-Agathe, Ganshoren et Koekelberg) et sur celui de la zone de police Bruxelles-Midi (Anderlecht, Saint-Gilles et Forest).
Le Parquet a confirmé ces guet-apens tout en respectant la réserve qu’imposent les enquêtes en cours. «Nous pouvons vous confirmer que plusieurs plaintes pour agressions à caractère homophobe nous ont été transmises par les zones de police de Bruxelles-Ouest et Bruxelles-Midi. Plusieurs victimes ont été contactées via une application de rencontres et, arrivées sur le lieu de rendez-vous, elles ont été prises à partie par plusieurs agresseurs et ont reçu insultes et coups. Certaines d’entre elles ont également fait l’objet d’un vol sous la contrainte. Les procès-verbaux sont actuellement en traitement au sein du Parquet de Bruxelles.»
De tels faits choquent dans une Belgique qui passe pour être à la pointe de la lutte contre l’homophobie en Europe et qui affirme plus largement se montrer sensible à la cause LGBT+.
En 2023, une vaste enquête réalisée par l’Agence européenne pour les droits fondamentaux avait toutefois relativisé cette ouverture bon teint. La Belgique faisait alors figure de bonne élève parmi les 27 Etats membres de l’Union européenne. 62 % des personnes interrogées s’y présentaient ouvertement comme LGBT+ contre 51 % à l’échelle européenne. Mais il n’en reste pas moins que 27 % des LGBT+ belges affirmaient éviter certains lieux par crainte d’être agressés; qu’un LGBT + sur six disait avoir subi une agression au cours des cinq années précédant l’enquête – soit 2 % de plus que la moyenne européenne. 53 % des personnes interrogées en Belgique déclaraient encore avoir été harcelées en 2022.
Une personne transgenre agressée au taser en 2018
De telles agressions ont parfois amené leurs auteurs devant les juges. En février 2022, le tribunal correctionnel de Bruxelles a ainsi condamné deux individus pour avoir violenté en 2018 une personne transgenre dans un parc de la commune d’Anderlecht, avec l’aide d’un taser. Ils voulaient «casser du pédé», selon leurs propres termes, et avaient enregistré une vidéo de l’agression. Là aussi, le guet-apens avait été organisé en recourant à une petite annonce.
Les agresseurs ont été condamnés respectivement à une peine de travail de 300 heures et une peine de prison de 38 mois avec un sursis probatoire de cinq ans.
Aujourd’hui, la presse belge va jusqu’à évoquer une «vague d’agressions» contre les homosexuels. Les affaires rapportées ne seraient en effet que la pointe émergée de l’iceberg, les victimes s’abstenant bien souvent de porter plainte.
La RainbowHouse Brussels, la fédération LGBT+ de la capitale, se dit très préoccupée par les récents événements. Elle rappelle qu’elle peut accompagner les victimes si «elles ont besoin d’un suivi redirectionnel psycho-médico-socio-juridique, en fonction de leurs besoins» et qu’elle peut les aider à porter plainte.
Entre 2019 et janvier 2024, cette fédération a dénombré 217 signalements pour des faits de violences homophobes ou transphobes, dont 67 faisant état de violences physiques. Plainte a été déposée dans 13 % des cas. La RainbowHouse rappelle au passage qu’un signalement d’homophobie peut être également transmis à Unia, l’organisme en charge de la lutte contre les discriminations.
En 2012, l’affaire Ihsane Jarfi avait ému le pays
Au cours de la décennie précédente, l’affaire Jarfi a révulsé la Belgique. Ihsane Jarfi, 32 ans, Belge d’origine marocaine et ouvertement homosexuel, avait été brutalement assassiné dans la nuit du 21 au 22 avril 2012, à Liège. Après avoir quitté une boîte de nuit gay, il était monté dans une voiture avec un groupe de jeunes hommes. Ces derniers l’avaient violemment agressé en raison de son orientation sexuelle, le battant, le torturant, puis l’abandonnant dans une zone boisée. Son corps n’avait été retrouvé que dix jours plus tard.
En 2014, les quatre agresseurs ont été reconnus coupables de meurtre avec la circonstance aggravante de haine liée à l’orientation sexuelle de la victime, et condamnés à des peines allant de 15 ans de réclusion à la perpétuité. Ihsane Jarfi est devenu un symbole de la lutte contre l’homophobie, incitant à des actions concrètes pour éradiquer la violence et la discrimination basées sur l’orientation sexuelle.