Août en 40 ans de Fugues, relations policières, oppression et conciliation !

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Un article de l’édition du mois d’août 1999 de Fugues est révélateur des relations conflictuelles entre les forces de l’ordre et les communautés queers. Un parcours, situé entre persécution et coopération, qui n’est pas de tout repos et qui a laissé, dans son sillage, de nombreuses victimes !

En août 1999, le bilan de la Fierté gaie montréalaise fait état d’une première, accueillie avec enthousiasme par la foule : la participation de policiers et de pompiers au défilé (« Policiers et pompiers gais : une sortie officielle »). L’Association des policiers et pompiers gais du Québec était en place depuis 1994, mais le délai de cinq ans entre sa création et la participation de certains de ses membres aux festivités illustre bien le malaise alors toujours présent au cœur même des policiers et des pompiers.

Rome ne s’est pas construite en un seul jour et, même si on peut se réjouir de cette avancée, le même numéro de Fugues dénonçait également une intimidation systématique des hommes gais dans les parcs de la ville (« Services de police de la Communauté urbaine de Montréal : dans les parcs, les gais persona non grata bien avant les heures de fermeture ? »). Bref, y avait-il un réel changement ou n’était-ce que poudre aux yeux ?

Il faut dire que les préjugés ont la vie dure au sein des forces de l’ordre et qu’ils ont été
alimentés à travers de multiples législations homophobes, combinées aux discours haineux de l’Église et aux ordres donnés par des politiciens intolérants. On peut notamment citer les nombreuses descentes commandées par le gouvernement fédéral afin de nettoyer Montréal avant les Jeux olympiques (« En 1976, 200 gais étaient emprisonnés avant les Jeux olympiques de Montréal », août 2016).

Ce dernier événement ne constitue par ailleurs qu’une goutte d’eau au sein des vases déjà pleins à ras bord de persécutions policières homophobes, lesbophobes et transphobes. Il faut dire que la sodomie est criminalisée dès les premières années de la colonisation puisqu’on y importe les codes législatifs de la France et de l’Angleterre. On ne retrouve cependant que peu de condamnations puisqu’une inculpation nécessite d’être pris en flagrant délit. En 1890, afin de corriger le tir, on ajoute le crime de « grossière indécence », qui permet d’inclure une plus grande variété de comportements et laisse ainsi place à tous les débordements imaginables. On assiste également à un renforcement de la démonisation de l’homosexualité sur le plan social, qui pénètre bien évidemment les corps policiers. Avant la décriminalisation de 1969, on retrouve ainsi plusieurs mentions d’arrestations dans les journaux avec un durcissement marqué des interventions à partir des années 50, que ce soit dans le cadre de descentes à grande échelle ou d’arrestations à la pièce.

« Des fiançailles “entre hommes” ! 376 personnes appréhendées dans un raid » (Montréal-Matin, 20 mars 1950) ; « La police provinciale débarrasse la province des anormaux sexuels » (Ici Montréal, 12 décembre 1953) ; « Les “époux” Jean-Guy Tremblay et Frank Lanteigne, deux homos de St-Hyacinthe, sont incarcérés » (Ici Montréal, 28 décembre 1957) ; « En un seul soir, […] la police de la moralité à Montréal arrêtait au parc Lafontaine 25 mineurs des deux sexes pour conduite immorale » (Ici Montréal, 11 août 1962) ; « L’autre matin […], deux efféminés ont été arrêtés parce qu’ils s’embrassaient, au coin de la Main et de Ste-Catherine » (Ici Montréal, 16 juin 1962).

Peu osent alors remettre en question le pouvoir des forces de police, mais il faut tout de même signaler l’indignation remarquée d’Angelo Di Pietro, propriétaire du Hawaiian Lounge qui compte alors une clientèle gaie importante : « Où la police veut-elle en venir ? : “On a fait ranger tous mes clients et employés au mur comme de vulgaires criminels” » (Le Cabaret, 6 août 1966).

Après la décriminalisation de 1969, les langues se délient enfin et les procédés des forces policières sont remis en question à la suite des nombreuses descentes de police qui traversent l’actualité : le Truxx (« Le Comité des accusés continue le combat », Gai(e)s du Québec, décembre 1977), le Sauna David (« Sauna David : deux acquittés, deux condamnés », Le Berdache, novembre 1980), le Bud’s (« Descente chez Bud’s », Le Berdache, juillet 1981), la taverne Gambrinus (« Descente à la taverne Gambrinus », Sortie, janvier 1983), les descentes en prévision de la visite du pape Jean-Paul II (« Les gais dans les maisons de débauche : Montréal épuré pour la visite du Saint-Père », Sortie, mai 1984), le Sex Garage (« Quand l’homophobie matraque. Deux histoires : une même violence », Treize, octobre 1990), les Katakombes (« La police aux Katakombes », mars 1994) et le Taboo (« La descente au Taboo : une première manche de gagnée », août 2003).

Différents comités d’action se mettent parallèlement en place pour contrer la répression, défendre les accusé.e.s et dénoncer la mise en place d’agents provocateurs (p. ex., des policiers sollicitant des relations sexuelles dans les saunas) : « Le comité du “Truxx” : vers une nouvelle prise de position » (Sortie, janvier 1983) ; « Harcèlement, l’omniprésence policière (Le Berdache, décembre 1981) ; « Des agents provocateurs » (Le Berdache, mai 1981). Au fil des ans, des invitations à la prudence (ou à la méfiance) sont même publiées dans les pages de Fugues : « Avis aux lecteurs : nombre important d’arrestations policières » (décembre 1995) ; « Opérations parcs : attention, c’est chaud ! » (juin 1999).

Le sujet est à ce point préoccupant que, entre 1977 et 2004, il constitue l’élément principal de plus de 160 articles des revues Gai(e) du Québec, Le Berdache, Sortie, Le Petit Berdache, Treize et Fugues. Au début des années 90, deux éléments amènent un rapprochement progressif, ponctué de rechutes : les pressions des groupes militants et l’arrivée de Jacques Duchesneau à la tête du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal.

Un tel changement de culture ne s’est évidemment pas fait sans heurts, mais en août 1994, Fugues publiait déjà une série d’articles où deux policiers présentaient les mesures misent en place pour assurer la protection des communautés LGBTQ et illustrer l’évolution des mentalités au sein des services de police (« Reportage sur la violence faite aux gais : suite et fin de l’entrevue avec les policiers Nathalie Morin et David Roy »).

Les policiers ne sont cependant que le reflet de la société dont ils sont issus et la clé de voûte d’un réel changement a donc résulté du remplacement progressif d’une vieille garde intolérante par de nouveaux éléments plus allumés et inclusifs (« Pompiers gais ou bisexuels : une réalité… aujourd’hui », mars 2022). Signe des temps, il y a quelques années, la Sûreté du Québec a même mis en place un comité LGBTQ+ dont le mandat est de combattre les préjugés en son sein.

Depuis deux ans, certains éléments radicaux ont obtenu de Fierté Montréal qu’aucun policier ne puisse prendre part au défilé en uniforme, en signe de respect pour les participant.e.s qui éprouveraient un malaise à cette vue (Mario Girard, «  Être policier et gai : n’allumez plus les gyrophares ! », La Presse, 6 août 2023). C’est sans aucun doute un paradoxe on ne peut plus absurde qu’après avoir tant milité pour obtenir un rapprochement avec ces derniers, certains imposent maintenant l’indignité de l’invisibilité aux membres LGBTQA+ des forces de l’ordre.

Pour une incursion fascinante à travers les relations tendues entre les services de police et la communauté gaie, au cœur d’une série de meurtres homophobes qui a secoué le début des années 90, consultez l’excellent balado offert sur OHdio : Le Village : meurtres, combats, fierté (https://ici.radio-canada.ca/ohdio/balados/9752/village-gai-meurtres-combats-fierte).

Ailleurs dans l’actualité
Vous l’ignoriez peut-être, mais le défilé de la Fierté gaie fut télédiffusé sur TQS (maintenant Noovo), en 2001 : « Le défilé de la Fierté gaie à TQS : au cœur de l’action » (août 2001). Un an plus tard, L’Androgyne, la première librairie LGBTQ du Québec, ferme ses portes après 29 ans de bons et loyaux services : « L’Androgyne ferme ses portes : annonce de la disparition de la seule librairie gaie et lesbienne au Québec » (août 2002).

De son côté, le Flirt & Potins du 29 août 1970 révèle une terrifiante nouvelle : « En vendant des cosmétiques à domicile, d’astucieuses lesbiennes séduisent une foule de ménagères sans méfiance ».

Sur une note plus légère, le Ici Montréal du 5 août 1966 évoque la nouvelle tendance lesbienne : « Une nouvelle mode chez les lesbiennes est d’écrire des vers, poèmes ou messages amoureux sur le bras, entre le poignet et le coude ». Finalement, Le Passe-Temps du 27 août 1921 évoque les tourments de l’Américaine Mary Holdowanetz qui réalise les raisons pour lesquelles son fiancé, Jack Brown, repoussait continuellement leur mariage : le sexe féminin indiqué sur le certificat de naissance de Jack (« Fiançailles tournées en queue de poisson »).

Les journaux Montréal-Matin et Le Passe-Temps sont disponibles sur BAnQ numérique (https://numerique.banq.qc.ca/) et Le Berdache est disponible sur le site des Archives gaies du Québec (https://agq.qc.ca/le-berdache/).

Note : Lorsqu’une référence ne précise pas le titre du périodique associé à un article, c’est qu’il s’agit de Fugues et lorsque le mois n’est pas mentionné, c’est qu’il s’agit de août.

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