Samedi, 12 octobre 2024
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    La persécution des LGBTQ, un crime contre l’humanité ?

    Plus de 60 pays, notamment en Afrique et au Moyen-Orient, criminalisent les personnes LGBT. Ces lois sont utilisées pour harceler, arrêter, emprisonner et attaquer des individus. Certains pays ont dépénalisé l’homosexualité ces derniers temps, tandis que d’autres ont adopté de nouvelles lois draconiennes. L’Ouganda a introduit la peine de mort pour certains actes homosexuels. Des activistes veulent invoquer le droit pénal international pour lutter contre cette persécution.

    « Nous avons déjà saisi un tribunal américain en 2012 », explique Pepe Onziema, directeur des programmes de Social Minorities Uganda (SMUG), une association ougandaise de défense des LGBTQ+ [lesbiennes, gais, bisexuels, trans, queer et autres] qui a été interdite en 2022 mais qui, selon lui, continue d’y travailler. L’affaire – « SMUG c. Lively » – était un procès fédéral dans lequel SMUG, représenté par son partenaire américain Center for Constitutional Rights, accusait le citoyen américain Scott Lively de complicité de crimes contre l’humanité pour son rôle dans l’encouragement, l’incitation et le soutien à la persécution des personnes LGBTQ+ en Ouganda.

    Lively, un extrémiste américain anti-gay, a contribué à partir de 2009 à l’élaboration d’une loi ougandaise draconienne qui est finalement entrée en vigueur en 2023. Bien que le tribunal américain ait rejeté cette affaire pour des raisons techniques, Onziema estime que sa décision présente certains aspects encourageants. Le tribunal a notamment déclaré que « la persécution généralisée et systématique des personnes LGBTI constitue un crime contre l’humanité qui viole incontestablement les normes internationales ».

    La loi ougandaise de 2023 contre l’homosexualité maintient non seulement la criminalisation de l’homosexualité héritée de l’époque coloniale britannique, mais alourdit les peines jusqu’à l’emprisonnement à vie et introduit la peine de mort pour « homosexualité aggravée », qui se réfère à des actes répétés, et des rapports sexuels avec une personne de moins de 18 ans, de plus de 75 ans, ou ayant un handicap. Elle criminalise la « promotion des activités LGBT », et prévoit des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 20 ans. Cette loi a été vivement dénoncée par des ONG nationales et internationales et par des experts des Nations unies, qui l’ont qualifiée d’abusive, de discriminatoire et de contraire au droit international. La Banque mondiale a suspendu l’octroi de certains fonds à l’Ouganda.

    Mais la loi est toujours en vigueur. Elle a été signée par le président ougandais Yoweri Museveni, âgé de 79 ans, qui, tout en atténuant parfois sa position, a appelé ses homologues africains à « donner l’exemple pour sauver le monde de cette dégénérescence et de cette décadence qui sont vraiment très dangereuses pour l’humanité ». Onziema dit qu’il doit constamment se déplacer d’un endroit à l’autre pour sa propre sécurité. Certaines personnes LGBTQ+ ont fui l’Ouganda.

    Les juges de la Cour constitutionnelle de l’Ouganda réunis en audience suite à des recours contestant la constitutionnalité de la loi anti-homosexualité du pays, à Kampala, le 3 avril 2024. Le même jour, les juges ont rejeté la demande d’abrogation de cette loi, considérée comme l’une des plus sévères au monde. Photo : © Badru Katumba / AFP

    LE GHANA EMBOÎTE LE PAS
    « C’est une chasse aux sorcières », déclare le Ghanéen Kofi Donkor, où les législateurs tentent de suivre la même voie. Donkor, directeur de LGBTQ+ Rights Ghana, explique que son organisation, ainsi que d’autres acteurs de la société civile, ont lutté avec acharnement contre une nouvelle loi approuvée par le parlement ghanéen en février de cette année. Comme en Ouganda, l’homosexualité était déjà criminalisée en vertu d’une ancienne loi coloniale britannique qui n’a jamais été abrogée. Le nouveau « projet de loi sur les droits sexuels et les valeurs familiales », bien que moins draconien que celui de l’Ouganda, prévoit des peines pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement pour le simple fait de s’identifier comme LGBTQ+ et de cinq ans pour la promotion, le parrainage ou le soutien d’activités LGBTQ+. Il prévoit également l’obligation pour les familles et autres personnes de dénoncer les personnes soupçonnées d’appartenir à la communauté LGBTQ+.

    Ce projet de loi est actuellement contesté devant la Cour suprême, pour des raisons techniques et de violation des droits humains, et doit encore être signé par le président pour entrer en vigueur. Comme en Ouganda, la Banque mondiale menace de ne plus accorder de fonds au Ghana pour des motifs liés aux droits humains, mais Donkor souligne qu’il existe malheureusement de fortes pressions au sein de la « société religieuse et conservatrice » ghanéenne pour que cette loi soit approuvée.

    Il dénonce également l’influence de groupes d’extrême droite anti-gay occidentaux, venus en particulier des États-Unis. L’ILGAAfri World, une fédération internationale d’organisations de défense des droits des personnes LGBTQ+, s’en fait aussi l’écho. Dans le chapitre Ouganda de son rapport 2023, on peut lire : « Il existe des preuves significatives qui indiquent que la loi anti-homosexualité et des initiatives antérieures similaires ont été dirigées ou soutenues par des groupes évangéliques conservateurs basés aux États-Unis. En effet, ces groupes de pression se sont révélés être le fer de lance d’une grande partie de la législation anti-LGBTQ+ en Afrique, et d’une grande partie du mouvement mondial ‘anti-genre’. » Ce qui n’exonère pas les dirigeants locaux et nationaux de leur responsabilité.

    TESTS ANAUX ET ATTAQUES ANTI-GAYS

    Dans les faits les condamnations pour homosexualité sont rares. En Ouganda, personne n’a été condamné à mort. Au Ghana, Donkor explique que les rares peines prononcées en vertu de la loi coloniale l’ont été pour des actes commis avec des mineurs. Cependant, ces lois sont utilisées pour attaquer, harceler, emprisonner et discriminer les personnes LGBTQ+. Les forces de sécurité procèdent à des raids et à des arrestations, souvent violents. Ces lois ont également encouragé les attaques perpétrées par des individus ou des groupes anti-gays.

    « L’un des objectifs de la nouvelle loi était de nous contraindre à fermer en 2022 », explique Onziema. « Mon directeur exécutif et moi-même avons reçu des menaces personnelles, la police et les politiciens nous ont harcelés, et nous avons été victimes de cyberharcèlement. Deux membres de notre association sont au tribunal, accusés d’agression, ce qui n’est pas exact. Ils ont été arrêtés en 2022, dans le cadre de la campagne de harcèlement contre l’organisation. »

    SMUG s’est battu avec acharnement mais sans succès contre la loi de 2023, dit-il, et cette loi n’a fait qu’empirer les choses pour les personnes LGBTQ+. Il cite les expulsions forcées de personnes soupçonnées d’appartenir à la communauté LGBTQ+ par des propriétaires qui ne leur rendent pas leur caution ; les descentes de police et les arrestations arbitraires ; le chantage et l’extorsion par des agents des forces de l’ordre et des membres du public ; et les « thérapies de conversion », par lesquelles les familles emmènent leurs enfants dans des centres médicaux pour qu’ils soient « purifiés » de leur homosexualité. « En général, ces thérapies de conversion sont très brutales », déclare Onziema à Justice Info. « Certaines d’entre elles vont jusqu’au harcèlement sexuel et à la violence sexuelle. »

    Il y a aussi les tests anaux infligés aux personnes soupçonnées d’homosexualité par la police et le personnel médical. « Cette violation odieuse continue de se produire, et elle se produit généralement une fois que la police vous a arrêté et que vous êtes en garde à vue », déclare Onziema. « C’est généralement forcé, ils ne cherchent pas à obtenir le consentement. Beaucoup de victimes ont fini par souffrir de graves problèmes mentaux. »

    « Les membres de la communauté LGBTQ sont confrontés à beaucoup d’hostilité au sein de leur famille, de la société et du quartier dans lequel ils se trouvent », explique Donkor au Ghana. « Nous disposons en outre de preuves, de vidéos montrant les abus dont sont victimes les personnes LGBTQ. Nous sommes également confrontés à de nombreuses discriminations dans l’accès aux soins de santé, voire dans l’accès à la justice. »

    RECOURIR AU DROIT INTERNATIONAL

    « Nous devons, au niveau international, inverser la question de l’homosexualité », déclare l’avocat français Etienne Deshoulières, fondateur de l’Association pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité. « Ce ne sont pas les homosexuels qui sont des criminels, ce sont les personnes qui persécutent les homosexuels qui sont des criminels. Donc ces personnes qui persécutent les homosexuels, qui incitent à la violence, qui perpètrent elles-mêmes des violences – qu’elles soient le fait d’acteurs étatique ou non – sont des criminels aux yeux de la justice internationale et aux yeux de la justice nationale des pays qui reconnaissent les droits des personnes LGBT ».

    Son organisation a, notamment, déposé une plainte devant un tribunal français contre l’ONG islamique sénégalaise Jamra pour incitation en ligne à la haine homophobe. Il affirme que ce groupe a une position particulièrement agressive à l’égard des personnes LGBTQ+ et qu’il a utilisé les réseaux sociaux, notamment Facebook, pour inciter à la violence à leur encontre. Selon Me Deshoulières, le tribunal français est compétent parce que la page Facebook de Jamra est en français et qu’un grand nombre de ses adeptes sont des Français ou des Sénégalais vivant en France.

    Ensuite, il y a dit-il la possibilité de porter plainte en vertu du principe de compétence universelle, pour crimes contre l’humanité ou éventuellement pour torture en ce qui concerne les tests anaux forcés. « L’Onu considère que soumettre une personne à un test est un acte de torture psychologique », explique Deshoulières. « La France prévoit une compétence universelle pour les actes de torture, donc éventuellement on pourrait poursuivre devant les tribunaux français des médecins ou des juges qui ont exigé qu’un test anal soit pratiqué sur une personne ».

    Enfin, poursuit-il, il y a une autre possibilité. « Une autre piste qui est plus proche dans nos plans, c’est d’engager des procès devant la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité contre des dirigeants de pays qui ont une politique volontariste, systématique, de persécution des personnes homosexuelles. » Il précise que son association travaille avec un cabinet d’avocats en Ouganda pour monter un dossier – le même cabinet qui a aidé SMUG dans l’affaire américaine. Et à la question de savoir si cette action serait dirigée contre Museveni, il répond par l’affirmative.

    Onziema indique que leurs « équipes juridiques essaient de travailler sur des cas très spécifiques », et que SMUG a également contacté des activistes LGBTQ+ dans d’autres pays africains sur la possibilité d’intenter des procès internationaux. Interrogé sur ses espoirs pour l’avenir, il déclare que le climat politique en Ouganda ne cesse de s’aggraver, « de sorte qu’en tant que communauté minoritaire, nous ne voyons pas vraiment d’évolution positive pour notre communauté dans un avenir proche ». Mais il n’est pas désespéré : « Personnellement, j’ai été arrêté, harcelé et agressé à plusieurs reprises et je vis toujours dans mon pays. S’il n’y avait pas de communauté, il n’y aurait pas d’espoir pour l’avenir, mais je vis ici parce que je suis optimiste et que je pense que quelque chose va se passer. »

    PAR JULIA CRAWFORD (de JUSTICE INFO)

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