La première s’abreuve aux sources de ce qu’était originellement la télé-réalité, alors que la seconde en offre un pastiche réjouissant. L’une présente des jeunes qui font face à un futur en devenir, alors que l’autre met en scène des vampires incapables de s’ajuster au monde moderne.
Pignon sur rue (2024)
Basée sur l’émission du même nom, diffusée à Télé-Québec de 1995 à 1999, Pignon sur rue a l’insigne honneur d’être la première émission de téléréalité produite au Québec. Elle mettait en vedette 7 jeunes, âgés de 18 à 25 ans, dont on suivait les ambitions, les rêves et les drames. Le concept était lui-même basé sur la série The Real World, créée en 1992, qui avait remporté un fort succès aux États-Unis et dont l’un des participants avait marqué l’imaginaire : Pedro Zamora, ouvertement gai, décédé de complications dues au sida au lendemain de la finale. Dans la même veine, au Québec, la première saison de Pignon sur rue mettait en scène Chrystian, un artiste-peintre qui s’épanouissait dans le Village gai, alors que la saison 2 présentait Danny, un sportif qui assumait pleinement son homosexualité.
À l’encontre des tendances actuelles en téléréalité, aucune scénarisation n’est mise en place : on suit simplement l’évolution de chacun des colocataires, ainsi que leurs interactions. Il n’y a ni gagnants ni perdants, pas de prix à remporter, que des participants qui se cherchent et se découvrent. La mouture de 2024 reprend ce concept initial avec un même nombre de colocataires et une prémisse identique : s’extraire d’un quotidien rassurant (la maison familiale) pour se confronter à l’inconnu de la grande ville (Montréal) et à des opinions ou une culture différentes de la sienne, tout en poursuivant ses études ou son initiation au milieu du travail.
Encore une fois, la série frappe dans le mille avec des participant.e.s articulé.e.s et dégourdi.e.s, qui n’hésitent pas à partager leurs appréhensions, leur fébrilité, mais également leur fragilité : Edgar (designer), Logan (esthéticienne), Ezekiel (éducation physique), Maureen (études asiatiques), Jean-Gabriel (science politique), Mia (architecture) et Jérémi (écologie). Les échanges sont francs et toujours engageants.
La série offre également de nombreux moments amusants, comme l’épisode 3 où le groupe visionne des extraits de la mouture de 1995 et est éberlué devant certains propos sexistes ou homophobes. D’autres moments sont plus intimes, comme lorsque Edgar confie le malaise et la culpabilité qu’il ressent d’avoir trompé son ex-chum à plusieurs reprises. On a presque le sentiment de revivre ses premières années de colocation. Un excellent moment de télévision !
What We Do in the Shadows, saison 6
Basée sur le film du même titre de Jemaine Clement et Taika Waititi (Vampires en toute intimité, en VF), la série nous fait suivre la colocation de quatre vampires installé.e.s depuis plusieurs siècles à Staten Island (New York) — Nandor l’Inflexible (Kayvan Novak), Laszlo (Matt Berry), Nadja (Natasia Demetriou), Colin (Mark Proksch), un vampire énergétique — et de Guillermo (Harvey Guillén), leur familier et homme à tout faire.
Le groupe est, pour une raison inexplicable, filmé par une équipe de télévision qui suit leurs moindres gestes, un peu dans l’esprit des séries The Office et Parcs and Recreation. Les vampires ont déjà plusieurs siècles d’âge et, bien qu’ils considèrent être le summum de la coolitude, ils sont bien souvent complètement à côté de la plaque des codes les plus élémentaires de la société moderne. Il faut insister sur le « bien souvent », puisque leur statut vampirique fait en sorte qu’ils ont abandonné certaines contraintes morales : ils sont tous pansexuels.
À titre d’exemple, dans la première saison, Laszlo et Nadja partagent le même amant, Nadja séduit une collégienne et on rencontre Gregor, un amant qui se réincarne en homme ou en femme au fil des siècles. Dans la seconde saison, Laszlo et Nandor s’astiquent mutuellement après avoir consommé du viagra de sorcière. Au cours de la quatrième saison, un génie ramène à la vie les 37 femmes de Nandor, incluant celles de sexe masculin et, lorsque blasé, il souhaite que son épouse officielle partage toutes ses passions, elle tombe en amour avec Guillermo. Quand ce dernier se fait un petit copain, Nandor souhaite que son épouse en soit la copie parfaite, puisqu’il le trouve fascinant, ce qui conduit à une relation amoureuse entre les deux versions du même homme.
Dans cette sixième et ultime saison, le groupe réalise qu’ils ont un peu perdu de vue l’objectif initial de leur venue en Amérique, soit en faire la conquête (une domination qui se limite actuellement à leur rue). Ils font également leur entrée sur le marché du travail au cœur du milieu des finances (autrement plus démoniaque que celui des vampires), puis ils vont conjurer un démon et tenter de créer un homme « parfait » à la Frankenstein, dont la domestication passe par l’apprentissage de danses latines.
La série se distingue par un humour très pince-sans-rire, complètement irrévérencieux, qui s’incarne dans un curieux mélange de dialogues décapants, qui se dégustent toujours au second degré, et de farces (slapstick) en tout genre. Une question demeure toutefois : Nandor réalise-t-il enfin la nature de son attachement pour Guillermo ? On ne peut que l’espérer. Pour verser dans un jeu de mots facile, la série nous offre une pinte de bon temps et de bon sang !
INFOS | La série Pignon sur rue est disponible, en français, sur Télé-Québec.
Les saisons 1 à 6 de What We Do in the Shadows sont accessibles, en anglais, sur Disney+. Un excellent doublage français est disponible pour les saisons 1 à 5.