Le 25 mars prochain, Janette aura 100 ans. En un siècle d’existence, cette journaliste, comédienne et écrivaine québécoise a vécu davantage que nombre d’entre nous. Hommage à une grande dame de chez nous, qui ne craint pas d’utiliser sa tribune pour mettre de l’avant la voix des femmes.
Déjà en 1952, dans le classique La petite Aurore, l’enfant martyre de Jean-Yves Bigras, alors qu’elle incarnait Catherine, la voisine d’Aurore, elle désirait utiliser sa voix pour dénoncer les mauvais traitements que la petite subissait de sa belle-mère. Certes, toute sa bonne volonté n’aura pas suffi ici, puisque l’histoire (vraie) de ce classique fut écrite autrement, mais il n’en demeure pas moins que Janette, tout au long de sa vie, mettra de l’avant sa voix pour faire entendre celle des femmes. Une féministe avant l’heure, notamment avec sa chronique au Petit Journal dès 1950. « Je savais que je n’étais pas née dans le bon sexe et mon but, ça a été de prouver à mon père qu’une fille, ça valait un garçon. Pour moi, ça a été un moteur très puissant », avoue-t-elle à Mylène Moisan de La Gazette des femmes en mars 2023.
Née en 1925 dans le Faubourg à m’lasse, aujourd’hui le quartier Centre-Sud de Montréal, à l’angle des rues Ontario et Frontenac, elle a toujours revendiqué les droits des femmes et ceux des homosexuels. Ce droit de vivre l’amour autrement, elle l’a popularisé avec l’émission Avec un grand A diffusée sur les ondes de Radio-Canada. Dès 1986 et pendant une décennie, elle écrira le scénario de ces épisodes qui aborderont divers sujets tabous à l’époque, dont l’homosexualité, le sida, les soins prodigués aux séropositifs, l’amour après le divorce, la différence d’âge dans le couple, les échanges de couples, la panne de désir, l’infidélité, la violence conjugale, la ménopause, l’obésité, l’alcoolisme, la prostitution, l’infanticide, le suicide des personnes âgées, l’inceste, le harcèlement sexuel au travail, le viol collectif, etc. Bref, tant de sujet qui, encore aujourd’hui, mériteraient une télédiffusion à heure de grande écoute pour, une fois de plus, mener à la réflexion collective.
Je me demande si Janette Bertrand, du haut de ses 100 ans, après une carrière florissante dans la sphère médiatique, et l’écriture de nombreux livres favorisant la réflexion, fulmine au regard des idées rétrogrades de certains individus et dirigeants politiques qui ne font que piétiner l’égalité homme-femme. Des jeunes influenceurs mâles alpha, aux vieux politiciens rétrogrades en quête de pouvoir et d’égo, force est d’admettre qu’on ne donne pas la parole et la tribune aux bons interlocuteurs ! On devrait élire des Janettes* au lieu d’élire de vieux messieurs pervers narcissiques qui ont des antécédents d’abus sexuels…
Lisez l’autobiographie de Janette, Ma vie en trois actes ; elle avait près de 80 ans lorsqu’elle l’a écrite ! C’est mieux que de lire celle d’un influenceur de 20 ans, qui ne fait que discuter du premier acte de sa vie, avec très peu de recul. Les femmes comme Janette Bertrand ont du recul ; lorsqu’elle est née, elle était considérée comme une citoyenne de seconde zone, jusqu’à ce qu’elle obtienne le droit de vote en 1940, sans compter nombre de lois rétrogrades qui la rendaient dépendante de son mari. Témoin de l’émancipation des femmes, elle dénonce celles qui s’érigent contre l’avortement, en soulignant sa peur des masculinistes, pour les adultes de demain : « J’ai peur pour nos enfants, les petites filles qui vont sur les réseaux sociaux, où les petits gars disent : “C’est vrai, c’est nous autres les boss !” J’ai peur que les réseaux sociaux prennent la place des parents pour instruire, avec le danger qu’on retourne à l’ancienne. » À la question, « tu comprends pourquoi les hommes tuent les femmes? », en référence aux féminicides, elle répondra : « Oui. Je comprends, car depuis 8000 ans, ils dominent. Tout à coup, des femmes disent non… C’est dans la mentalité, ils ont 8000 ans de domination. Et toutes les religions au monde, c’est un boys club, ils sont constitués d’hommes qui soumettent les femmes, parce que c’est du trouble, une femme qui ne se soumet pas, il faut que tu la traites en égale ! », explique Janette à Anne-Marie Dussault, à l’émission 24 heures en 60 minutes. Enfin, au sujet de la montée de la droite aux États-Unis avec l’élection de Trump, elle s’insurge : « Où sont les femmes américaines, qu’est-ce qu’elles pensent ? »
Ayant longtemps travaillé dans une résidence pour personnes âgées, j’y ai fréquenté de nombreux résidents, dont cette centenaire. Je lui avais demandé son secret. Cette vieille dame, emplie de sagesse, de me répondre : « Chaque soir, je suis déçue. » Pourquoi, lui demandais-je : « Parce qu’une autre journée se termine… Mais chaque matin, au lever du soleil, je m’émerveille et je remercie Dieu de m’accorder une journée de plus pour avoir la chance de le contempler. » Ça prenait une centenaire pour me faire comprendre de la manière la plus simple possible ce qu’est réellement la gratitude. Ça nous prend plus de Janettes pour nous faire comprendre comment les droits des femmes sont importants et à quel point il faut travailler pour les faire valoir, car ils ne sont jamais acquis ! Encore faut-il mettre notre âgisme de côté, dans une société obsédée par le culte de la jeunesse, puis écouter la sagesse de ces Janettes, car elles ont énormément de choses pertinentes à nous dire. Écoutez ! Puis, lisez Cent ans d’amour, le plus récent livre de Janette, un précieux héritage où elle redonne ses lettres de noblesse à la vieillesse, avec des réflexions sur l’âgisme, sans oublier les petits plaisirs du grand âge et les bonheurs de la sagesse. « En ce moment chez les jeunes, il y a une telle peur de vieillir …, tandis qu’il y a des femmes comme moi, et des hommes, qui sont pleins de vie et de santé et qui veulent profiter de leurs années ! », confie Janette Bertrand à Anne-Marie Dussault, en avouant qu’elle n’aurait jamais pensé vivre jusqu’à 100 ans. Bravissimo !
Le terme Janette est ici utilisé en référence à Mme Janette Bertrand. Cela dit, en 2013, le « mouvement des Janettes » est fondé spontanément par Janette Bertrand et Julie Snyder et récolte plus de 39 000 signatures pour sa pétition en faveur de la Charte des valeurs québécoises, proposée par le gouvernement Marois, qu’il aimerait bien voir rebaptisée « Charte de la laïcité ».
Le 25 mars prochain, Janette Bertrand célèbrera ses 100 ans ! Soufflez les bougies en lisant Cent ans d’amour. Réflexions sur la vieillesse de Janette Bertrand, paru le 24 octobre 2024 aux éditions Libre Expression.