Cédant aux demandes incessantes de ses sœurs, Youssef se résout à revenir dans la petite ville de Salé, au Maroc, afin de vendre la part d’un immeuble qu’il a hérité de sa mère. Il s’était pourtant juré de ne jamais y remettre les pieds puisque chaque effluve, chaque regard est un rappel d’un passé dont il souhaite s’affranchir.
Rien ne l’obligeait toutefois à revenir, puisqu’il occupe une position enviable dans un corps professoral, en France. Le souvenir de son premier amour, Najib, lui commande cependant de revenir sur place afin d’exorciser la mémoire d’une jeunesse meurtrie.
Quelle n’est cependant pas sa surprise lorsqu’il retrouve, chez un baron de la drogue, le garçon fragile d’autrefois. Celui-ci exerce dorénavant un pouvoir sur ceux qui ont labouré son corps d’enfant, de même que sur ceux qui ont contemplé avec indifférence les agressions à répétition dont il était l’une des nombreuses victimes.
« On nous repère dès la petite enfance. Les gamins efféminés. Les chochottes. Les petites filles au nom de garçon. Les homos. Les pédés. Ceux qui ne méritent pas d’exister parmi nous. On commence notre destruction programmée très tôt. »
L’auteur, Abdellah Taïa, est lui-même gai et, à l’instar du personnage de Youssef, il est né en 1973 dans la même localité. Le récit qu’il propose, sans être autobiographique, s’abreuve cependant des constats qu’il fait d’une culture où le rigorisme affiché des principes moraux se conjugue hypocritement avec une culture de corruption et d’abus à peine voilés, où des enfants sont vendus et violés dans l’arrière-boutique des souks, des mariages ou des fêtes religieuses.
Un livre difficile, mais dont l’écriture demeure étrangement magnifique, voire lyrique, malgré les souffrances qui y sont décrites. Véritable coup de poing littéraire, le roman a remporté le prix Décembre et le Prix de la langue française, en 2024. Il fut également nommé pour le prix Médicis et le prix Goncourt des lycéens, la même année.
INFOS | Le bastion des larmes / Abdellah Taïa. Paris : Julliard, 2024, 213 p.