Alexandre Duval décrit la machine politique (et ses risques pour la démocratie). Riche de son expérience comme journaliste politique à Radio-Canada, et plus particulièrement au sein du bureau parlementaire à Québec, Alexandre Duval a dévoilé un premier essai le mois dernier, qu’il a pu rédiger après avoir annoncé l’année dernière une pause du journalisme. Dans Obsession : élections ! Comment l’électoralisme affaiblit nos démocraties, celui qui s’est consacré à l’enseignement collégial et universitaire dans les derniers mois, critique notamment l’état de la communication politique, soulignant son impact sur la couverture journalistique et, ultimement, sur la démocratie et la population.
Quel lien fais-tu entre ton expérience journalistique et ta nouvelle expérience d’essayiste ?
Alexandre Duval : J’ai toujours voulu, à travers mon travail de reporter politique, privilégier d’abord et avant tout les enjeux citoyens. C’est-à-dire que je n’ai jamais voulu me placer dans une posture où j’étais une simple courroie de transmission du message politique vers les citoyens. J’ai toujours voulu me placer dans une posture où je suis la courroie de transmission des citoyens vers le politique, donc essayer d’emmener des enjeux au parlement et essayer de débusquer ce que le politique ne veut pas dire à la population. Pour moi, de produire [cet] ouvrage est en ligne directe avec la manière [dont] je perçois le journalisme.
Est-ce que cette critique que tu portes dans ce livre à l’endroit de l’attitude politique est quelque chose que tu remarques depuis longtemps ?
Alexandre Duval : C’est quelque chose qui s’est intensifié au contact quotidien du monde politique. Mais, je tiens à ce que ce soit clair : j’ai vraiment un grand respect pour les personnes qui se lancent en politique, que ce soit comme élu.e ou comme employé.e, et le bouquin n’a pas été écrit dans l’optique de s’attaquer à ces gens-là spécifiquement. C’est juste que, quand tu côtoies ce milieu-là au quotidien, tu t’aperçois quand même qu’il y a vraiment une partie de l’action politique considérable qui est vouée à servir les intérêts des politiciens et des partis. Et ça, ce n’est pas nécessairement de la faute des politiciens eux-mêmes : le système évolue depuis grosso modo la moitié du siècle dernier pour amener les politiciens et les partis politiques à être toujours plus enfermés dans cette posture-là. Les politiciens qui font de la politique aujourd’hui sont pris avec des faux plis qui se sont installés au fil du temps et qui nous semblent aujourd’hui inévitables, mais qui ne le sont pas. Le problème, c’est que ces faux plis-là ont eu comme effet d’éloigner les gens, d’éloigner les citoyens du politique et même de rendre une bonne partie de l’électorat désabusé et cynique par rapport à la politique. La résultante, c’est que ça fragilise nos démocraties. Et on a juste à regarder de l’autre côté de la frontière pour voir jusqu’où ça peut se rendre…

Tu mentionnes à quelques reprises l’« utilisation » de certains groupes marginalisés, dont les LGBTQ+, en communication politique, toi qui a déjà exploré les enjeux LGBTQ+ dans tes articles politiques. Qu’est-ce qui te pousse à te pencher sur ces sujets ?
Alexandre Duval : Ça serait malhonnête de dire que la communauté LGBTQ+ est le bouc émissaire de la classe politique québécoise. Évidemment, il y a des enjeux. Il y a vraiment des enjeux. Moi, quand ces enjeux-là ont émergé à l’Assemblée nationale, j’ai voulu appliquer la recette que je pensais être la bonne pour faire du journalisme politique, c’est-à-dire se poser en défenseur de la démocratie. Et quand tu te poses en défenseur de la démocratie, tu n’as pas le choix, comme journaliste, d’aussi te poser comme défenseur des droits et libertés
de la personne, de l’égalité et de la liberté, ce qui fait en sorte que j’avais tendance à vouloir couvrir ces enjeux-là sous l’angle du droit : est-ce qu’on va retirer des droits des individus ? Les individus qui n’ont pas le marqueur X sur leur pièce d’identité et qui y ont droit, comment se fait-il que l’État n’applique pas encore les règles qu’il a lui-même adoptées ? Ce n’est pas une posture militante, c’est une posture d’égalité et de liberté qui s’appliquerait à n’importe quel individu de n’importe quel
groupe social.
Dans le milieu journalistique, tu es non seulement connu comme un journaliste politique, mais aussi comme un très grand fan de Mylène Farmer. Qu’est-ce qui t’intéresse chez elle ? Et qu’est-ce qui fait d’elle une icône pour les LGBTQ+ ?
Alexandre Duval : Les gens qui ne sont pas familiers avec l’univers de Mylène Farmer ont tendance à penser que c’est de la simple pop un peu bonbon. On connaît « Désenchantée », puis c’est tout. Quand tu te plonges dans l’univers de Mylène Farmer, tu te rends compte que c’est un univers ultra référencé, c’est une fille ultra cultivée, qui écrit ses chansons à partir de textes de poètes, à partir de textes littéraires. C’est un univers qui est ultra raffiné, mais que les gens ne soupçonnent pas parce que, un, elle a été oubliée ici, et deux, elle n’est jamais venue donner de concert ici, donc forcément… Et oui, c’est une icône parce que, dès le début de sa carrière, elle a toujours fait une place au thème de la diversité sexuelle et de genre dans ses chansons. Elle chante la marginalité, elle l’a portée sur scène et je pense que c’est ce qui fait en sorte que son public, encore aujourd’hui, lui est vraiment fidèle : elle a donné, dès les années 80, une place à du monde qui n’en avait pas tant dans la musique pop.
Il y a une dizaine d’années, tu as été boursier stagiaire à la Fondation Jean-Charles Bonenfant, à l’Assemblée nationale du Québec. Tu as alors écrit le mémoire Les députés homosexuels de l’Assemblée nationale de 1977 à 2002 : un facteur dans l’atteinte de l’égalité juridique des gais et des lesbiennes du Québec ? Qu’en as-tu tiré ?
Alexandre Duval : Quand on regarde le chemin que le Québec a parcouru sur le plan de l’égalité juridique, au niveau de la diversité sexuelle, on a été un précurseur au Canada. Je me demandais si c’était un hasard que, à chaque fois qu’il y avait des avancées sur ce plan-là, ben, étrangement, il y avait toujours des personnes homosexuelles au sein du Conseil des ministres. C’était plus une hypothèse de travail : est-ce que ces gens-là, activement, derrière les portes closes, dans tout ce qu’on ne voit pas, font de la représentation substantive des intérêts des minorités sexuelles et de genre ? C’est un peu ce que le mémoire démontre : oui, ces gens-là ont joué un rôle actif, d’où l’importance d’avoir, dans un monde idéal, des institutions démocratiques qui représentent réellement la diversité de la population sous toutes ses formes. Il y a un effet réel qui se produit lorsque des gens issus de certaines minorités se retrouvent dans des postes de représentation politique.