Mardi, 3 décembre 2024
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    Yves Jacques ou le bonheur de l’affirmation

    Yves Jacques a volé la vedette à Denise Bombardier, à Raison Passion, lorsqu’il a dévoilé son orientation sexuelle au mois de mars 96. Plus proche d’une libération que d’une confession, le comédien s’y racontait sans fausse pudeur ni voyeurisme. Plus de masques, mais la sincérité, rien que la sincérité. Une sortie du placard en règle qui bouscule les remparts du silence derrière lequel d’autres comédiens se retranchent aisément.

    Quoi de plus naturel, alors, que celui qui avait vécu des années dans la semi-clandestinité devienne quelques mois plus tard le porte-parole de Gai Écoute. Une trajectoire qui, pour celui qui a triomphé dans les Fourberies de Scapin allait de soi. De retour à Montréal pour l’été, il endosse son nouveau rôle de porte-parole avec beaucoup de conviction. Lors de la conférence de presse de Gai Écoute en 1998, il s’était dit prêt à rappeler dans toutes les entrevues les objectifs et les services de cet organisme dont le nom et le numéro de téléphone, disait-il avec humour, devraient apparaître sur tous les litres de lait. Avec lui, nous avons refait le parcours d’une longue chronique d’une sortie annoncée.

    Tu as parlé de ta sortie comme d’un plongeon dans le vide. Un plongeon que tu as choisi…
    Lorsque j’ai été approché par Mme Bombardier, qui voulait faire un portrait sur moi, j’ai eu envie de dire des choses justes. À quarante ans, on a envie d’être très authentique. C’était un cap que je me devais de franchir. De plus, la mort d’un ami très proche, qui m’avait aidé à m’accepter comme gai et qui m’avait fait comprendre que je n’étais pas tout seul au monde à être comme cela, m’a donné la force de plonger. Je me suis fait un cadeau en faisant ce plongeon. Et cela a été pour moi comme une seconde naissance. J’ai l’impression d’avoir vécu comme la mort d’une ancienne vie, pour la naissance de ce que je suis vraiment. J’ai accouché de moi-même. J’étais en train de passer ma vie à respecter les autres en me cachant, sans me confronter réellement à une société qui est encore agressive face aux homosexuels. C’est comme si je m’étais marié avec moi-même. Comme le dit Oscar Wilde: « Le plus beau début dans la vie, c’est d’accepter de s’aimer soi-même ». En le disant, je voulais aussi faire un cadeau à cet ami qui était mort du sida. Je voulais lui montrer où j’en étais rendu dans ma vie. La mort permet de relativiser les choses. Je voulais aborder la quarantaine avec une forte envie d’authenticité.

    D’autres journalistes avaient essayé de te le faire dire, et sans succès…
    Nathalie Pétrowski aurait aimé que je le fasse, mais je n’étais pas encore prêt. Mon ami était malade et j’étais, à cause de cela, sur une autre planète. Et surtout, je ne voulais pas que ce soit écrit, je ne voulais pas être cité. Mon expérience m’a appris que l’on n’est pas toujours bien cité dans les journaux. Et même si on l’est, on n’est plus dans un contexte de conversation. Tu perds l’élément essentiel qui fait que tu contrôles ce que tu veux dire. Si je devais le dire, ce serait à la télévision, avec mes mots à moi, mon visage. Il fallait le cadre d’une émission comme celle de Mme Bombardier, où l’on a le temps d’expliquer. Cela aurait été impossible pour moi à une émission de Julie Snyder ou de Patrice Lécuyer. Je suis heureux d’avoir attendu le bon moment pour le faire.

    Quelles ont été les réactions autour de toi, suite à cette entrevue ?
    J’ai reçu beaucoup de courrier auquel je n’ai pas pu répondre. En quelque sorte, ma façon de répondre, c’est d’être porte-parole de Gai Écoute parce que les intervenants de cet organisme sont beaucoup mieux armés que moi pour apporter du soutien. Je ne suis pas psychologue. En tant que comédien, j’étudie beaucoup la psychologie des personnages, mais ça ne demeure qu’une démarche artistique. Quand le président de Gai Écoute m’a demandé d’être porte-parole, je trouvais que c’était peut-être la meilleure façon de répondre à tous ceux qui m’avaient écrit.

    Au sujet de cette entrevue, tu parles d’une seconde naissance. Quelles étaient les inquiétudes qui te retenaient avant ?
    Ce n’était pas vraiment des inquiétudes. Avant, je flottais dans un autre monde. Je n’avais aucune conscience sociale vis à vis de l’homosexualité. J’essayais même de m’en cacher, d’être prudent, de garder un mystère pour pouvoir jouer tous les rôles. Je ne voulais pas être associé à cette étiquette-là. Et puis, j’en ai eu assez de faire attention. En ce sens, cet ami m’a aidé à en prendre conscience. Mais, c’est sûr que cela aurait été impossible pour moi de le faire à vingt ans. À cet âge-là, j’avais l’air bien dans ma peau, mais j’étais plutôt l’adolescent boutonneux qui passait tout en bouffonnerie. J’étais un grand bouffon, ce que je ne suis plus maintenant, sauf dans des rôles. Je passais tout en blague et j’essayais de faire oublier que je n’étais pas bien derrière cette carapace. Et dans ce sens-là, les personnages au théâtre m’ont beaucoup aidé à me cacher.

    Mais ta famille le savait; les gens du milieu artistique aussi, le savaient.

    Une certaine partie de la famille ne le savait pas, même si elle s’en doutait. Ma mère avait peur, d’ailleurs, que des oncles et des tantes l’apprennent. Elle disait souvent: «Attends que je sois morte pour en parler» (rires!) Je l’ai avertie que j’allais faire une entrevue avec Mme Bombardier et que j’allais en parler. Mes frères et mes sœurs l’ont appelée pour la rassurer en disant : « Yves est prêt, il va être mieux dans sa peau s’il en parle ». Et ça s’est merveilleusement passé pour elle. Ma mère s’est retrouvée la confidente de quelques amies qui avaient des enfants homosexuels ou lesbiennes. Ces femmes n’osaient même par s’ouvrir à leur mari ou à d’autres personnes de leur famille.

    Par le simple fait que je me sois affirmé, ma mère est devenue une personne ressource. Elle est devenue une espèce de «sommité» en la matière. Plus sérieusement, c’est encore surprenant de voir à quel point les gens ont encore peur d’en parler, gardent cela pour eux.

    Ton milieu familial était-il hostile aux homosexuels ?
    Je viens d’une famille plutôt bourgeoise de Québec, Sillery, plus précisément. Tout ce que j’avais autour de moi, c’étaient des petits machos. Mais il y a une réflexion de mon père qui m’a beaucoup marqué quand j’étais enfant. Un jour que toute la petite gang d’enfants que nous étions criaient des mots comme tapette, fifi… mon père nous a dit: « Ne dites pas cela, vous ne savez pas ce que c’est. Vous ne savez pas de quoi vous parlez. » Je trouve cela assez fabuleux de la part de mon père qui était médecin et très humaniste. D’ailleurs, j’ai la chance d’avoir des parents très humains.

    Comme comédien, tu as joué des personnages de gais, au théâtre dans les Feluettes de Michel-Marc Bouchard, autre porte-parole de Gai Écoute, mais aussi au cinéma dans Le Déclin de l’Empire américain de Denis Arcand.
    Je me suis présenté au casting. J’avais déjà travaillé avec Arcand pour Le Crime d’Ovide Plouffe, où je jouais un architecte playboy. J’ai tout de suite dit à Arcand que j’étais homosexuel et que j’adorerais avoir ce rôle. Et il m’a répondu: «C’est très bien, c’est toi qui le fais.» J’avais vingt-neuf ans et je devais jouer un homme de quarante ans. Arcand a dû convaincre les producteurs et ces derniers ont accepté après avoir vu les rushs de la première journée de tournage. C’était la scène au Mont-Royal où je draguais. À l’époque, je jouais un jeune adolescent boutonneux dans la télé-série Poivre et Sel. Il fallait une transformation physique pour que je puisse correspondre à l’âge du personnage, d’où la permanente bouclée. J’ai adoré jouer ce personnage même si maintenant, je le jouerais un peu différement parce que j’arrive à son âge. Et puis, je n’avais pas à composer avec mon être profond. Ce qui était souvent le cas quand j’interprétais des rôles de machos. Et j’en ai joué beaucoup! J’aimais cela parce que j’en faisais une critique et en même temps, je me cachais derrière. Cela faisait mon affaire.

    Est-ce que ton départ pour la France avait un rapport avec cette difficulté de vivre ton homosexualité ?
    J’étouffais, ici. On me demandait beaucoup, et surtout pour devenir animateur de quizz. Je suis avant tout comédien, et devenir animateur, c’est un autre métier. J’avais le sentiment que je devrais me cacher encore plus pour garder des distances entre ce que j’étais et l’image publique. Après Les fourberies de Scapin et La légende de Jimmy, qui ont été des succès, je me suis vraiment installé à Paris à l’automne 94. Mais je n’ai pas non plus rompu avec le Québec.

    Ton engagement dans Gai-Écoute t’as obligé à parler souvent de ton homosexualité. N’y voyais-tu pas quelque danger pour ta carrière ?
    Si cela m’empêche d’avoir du travail pour l’avoir dit, alors tant pis. Je sais que les Américains ont beaucoup de difficultés avec des comédiens ou des comédiennes qui le disent ouvertement. Les Français aussi. Je pense que c’est moins le cas pour les Anglais. Quand je jouais la pièce d’Oscar Wilde à Paris avec Ruppert Everett, j’ai souvent parlé de cela avec lui, qui l’a dit publiquement depuis longtemps. En plus, la pièce parlait de l’intolérance de l’Angleterre victorienne face à l’homosexualité. Maintenant, je sais que ce n’est pas à cause d’une supposée carrière internationale que je vais m’empêcher de le dire, ici en France ou ailleurs. Je ne vais pas faire croire que j’ai une femme ou des enfants tout d’un coup. Je n’ai pas plus peur au niveau de ma carrière comme je n’ai pas à devenir un héros parce que je décide d’en parler.
    D’autres l’ont fait avant moi: Michel Tremblay, Michel Girouard, André Montmorency, Michel Marc Bouchard…

    C’est quand même peu. L’autre danger, c’est que tu deviennes un modèle.
    Je ne pense pas devenir un modèle. Il y a sûrement des gars qui vont se demander pourquoi l’avoir choisi lui et pas un autre qui représenterait bien ce qu’ils sont. Mais c’est difficile, parce qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’être gai.

    Il y a tellement de styles différents. Et puis, par mon métier de comédien, j’ai une image qui change souvent. J’aime d’ailleurs la transformation physique qui va avec chaque personnage.

    Si tu n’es pas un modèle, au moins, seras-tu une personne référence ?
    Oui, une personne référence. Par la douleur que j’ai eue à passer à travers cela. La douleur est la même pour tous les gais qui décident de s’assumer. On la vit tous un jour, de différentes façons. Il y en a qui l’assument très tôt; il y en a qui l’assument étape par étape et d’autres qui ne l’assumeront jamais. En le disant, je n’ai pas l’impression de parler de ma vie privée. Je parle tout simplement de ce que je suis. Comme on sait qui partage la vie d’Yvon Deschamps. Comme on sait que Sean Connery est straight. Je n’ai pas envie de devenir la Michèle Richard des gais ou la Priscilla du Village (rires!)

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