Dimanche, 16 février 2025
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    “Lubiewo” de Micha Witkowski

    Lecteurs, quand vous aurez terminé la lecture de Lubiewo, de Micha Witkowski, vous saurez tout, comme se le disent deux personnages qui, à la fin du roman, apprennent que tout ce qu’a écrit pour son livre le journaliste et écrivain Witkowski, surnommé Michette, est étalé au grand jour, et que ledit Micha a été viré de l’université, s’est fait voler son argent, a contracté une espèce de lèpre et s’est tiré en Suisse. 

    C’est de la fiction, naturellement, même si le jeune auteur polonais se met en scène dans cette sorte de tragi-comédie de l’homosexualité en Pologne d’hier et d’aujourd’hui qu’est Lubiewo, racontée par une bande de folles sur le retour.

    C’est un livre déjanté, inattendu, incongru, celui qu’on n’attendait pas d’un ex-pays socialiste, qui était il y a peu de temps encore sous la férule des deux frères Kaczynski aux convictions archi-réactionnaires. Et qui a fait scandale, on l’imagine à sa sortie en 2005. Un roman qui dévoile la vie des homos sous l’ère socialiste et actuelle.

    Et qui est aussi une des rares fictions qui montrent l’homosexualité sous le «bon» temps communiste. «Bon» pour tous ceux qui, comme Patrycja et Réglisse, arrivent en fin de parcours, bedonnants, les sourcils en broussaille, les ongles noirs rongés par la mycose, fatigués même de leurs plaisanteries.

    Car c’est par eux ou plutôt par elles — car elles s’interpellent sans cesse au féminin — que débute le roman, Micha Witkowski venant recueillir leurs souvenirs dans leur logis de Wrocaw, un véritable bouge où tout est cramé et moisi, comme si rien n’avait bougé depuis le changement de régime.

    Leurs confidences, qui constituent une sorte d’introduction à la fiction, évoquent les nuits chaudes du passé, — nuits, du temps du rideau de fer, inconnues par les Occidentaux, j’en suis sûr. Elles, comme toutes les autres qui prendront place par la suite dans le roman, regrettent le bon vieux temps où les casernes des militaires russes et les pri­sons polonaises leur permettaient d’entretenir leur passion pour les hommes et, tout particulièrement, pour leur bite, qu’elles adoraient sucer.

    Tout ça pour rien, naturellement, gratos, mais fait généralement dans un état de beuverie avancée qui, quand elles s’étaient trouvé un «hooly» (soit un hooligan, un délinquant dans la terminologie réaliste-socialiste), les amenait à être battues et volées. Elles fréquentaient une plage de nudistes, appelée «Tata Beach», sur la mer Baltique, à Lubiewo. Comme hier, les gais s’y donnent encore rendez-vous.

    C’est sur cette plage que se tient Micha pour prendre des notes et raconter plus amplement — non sans une certaine nostalgie — les mœurs dissolues d’une tribu de folles — ceci pour le passé —, et la conduite «progressiste» d’un clan de gais — cela pour le présent. Les folles se nomment, entre autres, Paula, Sourdingue, Sainte Marie de la Relique, la Comtesse, la Chouette, Plumella. Elles ont attrapé toutes les MTS possibles et, mainte­nant décrépies, ridées, mal attifées, avec les touffes teintes qui leur restent sur la tête, elles se rappellent le baisodrome qu’étaient les buissons de la plage et surtout les parcs de Wrocaw.

    Leurs souvenirs, qui leur paraissent si heureux, ne sont en fait qu’une suite de malheurs, un théâtre triste et sombre, que la bitcherie, l’alcool et la bite voudraient bien transformer en un rêve inégalable. Elles s’émeuvent, font des chichis de rien, versent une larme sur les faits, continuent à être garces et à casser du sucre sur tout le monde (vivant ou mort), à raconter les secrets de toutes et chacune, se traitant de salopes à tour de rôle.

    Leur vie : une sorte de fête ratée. Mais c’était leur fête à elles, elles l’avaient choisie et organi­sée. Elles se débrouillaient, tant au travail qu’avec les flics, à la vivre telle qu’elles l’entendaient, même si c’était la plupart du temps dans la dèche et la saleté (mais il vrai que, dans tous les pays de l’Est, sous l’époque communiste, tout était pauvre et crasseux), ivres vingt-quatre heures sur vingt-quatre ou presque, la vodka devant leur donner du courage.

    Et dans l’ère démocratique d’aujour­d’hui, comme tout est différent! Les homosexuels d’aujourd’hui n’évo­luent pas dans les labyrinthes de cette sorte d’underground sordide où Paula et les autres se frayaient un chemin jusqu’à une queue. Non! C’est maintenant la revanche du propre et de la rectitude. Ils s’appellent gais, se désignent au masculin, se font bronzer, tatouer et percer, militent à longueur de journée pour le droit au mariage et à l’adop­tion, mangent «un sandwich à la tomate sur la même assiette», fré­quentent des bars bien tenus, recrutent leurs partenaires par Internet et — le pire de tout — font du sport!

    C’est joliment envoyé par Witkowski, qui dessine ainsi le contraste entre «les tapettes dépravées» d’autrefois — et qui n’avaient pas le choix — et «les homos de classe moyennes, portant des lunettes et des petits pulls» — et qui disent à tout le monde qu’ils aiment les hommes.

    Michala, autre surnom féminisé que les «Retraitées» donnent à Micha Witkowski, est un auteur empathique qui a ainsi décidé qu’avec Lubiewo, il écrirait une ode aux folles d’antan, qui vivaient dans les marges étroites d’une société totalitaire et qui le soir venu patrouillaient leurs territoires, c’est-à-dire les parcs et les alentours des casernes : alors, la nuit les rendait glorieuses à leur façon. Pour eux/elles, le passé est synonyme de bonheur et de liberté – même sous le communisme. Le passé devient ainsi le miroir sans tain du présent.

    Lubiewo / Micha Witkowski, traduit du polonais par Madeleine Nasalik. Paris : Éditions de l’Olivier, 2007. 347p.

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