Les ouvrages présentant un portrait détaillé de la place occupée par les hommes et femmes gais dans la première moitié du 20e siècle sont particulièrement rares. Par ailleurs, les quelques récits qui nous sont parvenus ne contiennent bien souvent que des bribes d’information sur le contexte social on ne peut plus répressif qui régnait alors et ne mettent souvent en scène que des personnages qui vivent leur sexualité dans l’obscurité et la honte.
On peut donc imaginer la surprise de Justin Spring lorsqu’il est tombé sur les 80 boîtes d’archives de Samuel Steward, un homme né en 1909 dans un milieu méthodiste des plus conservateurs et qui est devenu, au fil des ans, professeur à l’université, tatoueur, écrivain de littérature érotique gaie et «historien» du milieu gai.
C’est après une rencontre avec Alfred Kinsey qu’il décide de documenter tous les aspects de sa sexualité, allant même jusqu’à constituer un classeur composé de 746 fiches portant sur les hommes avec qui il a couché et détaillant leurs pratiques sexuelles.
On lui doit également une correspondance suivie avec Gertrude Stein, Alice B. Toklas, Lord Alfred Douglas (l’amant d’Oscar Wilde), Thomas Mann, Christopher Isherwood et André Gide, pour n’en nommer que quelques-uns.
C’est sous le nom de Phil Andros qu’il publie des romans érotiques gais où, à l’encontre des autres ouvrages disponibles à l’époque, il met en scène des personnages qui vivent leur sexualité avec abandon et sans aucune retenue et dans des récits qui ne se terminent pas par un suicide ou une mort brutale (contrairement à la trame trop souvent habituelle).
Le tout s’avère un récit fascinant et souvent d’une grande drôlerie (la scène où il coupe des poils pubiens de Rudolph Valentino pour les monter sur un scapulaire est hilarante). Évidemment, les frustrations inhérentes à son désir de vivre son homosexualité sans retenue dans un univers corseté à l’extrême ne furent pas sans conséquence sur sa santé puisque vers la fin de sa vie, ce dernier sombra dans l’alcoolisme et connut de longues périodes de dépression.
Comme le souligne cependant l’auteur, «le prix payé pour être lui-même fut peut-être élevé, mais il eut, à tout le moins, ce privilège : être lui-même».
Secret historian : The life and times of Samuel Steward, professor, tattoo artist, and sexual renegade/ Justin Spring. New York: Farrar, Straus and Giroux, 2010. 478p.