Mardi, 11 février 2025
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    MICHEL FOUCAULT ET MATHIEU LINDON : “Michel Foucault” de Didier Eribon / “Ce qu’aimer veut dire” de Mathieu Lindon

    Michel Foucault est certainement aujourd’hui le philosophe le plus lu et le plus commenté. Défenseur des opprimés, des minorités et des exclus de la société, l’auteur des Mots et les choses, de Surveiller et punir et de La volonté de savoir (premier tome proposé de son Histoire de la sexualité) demeure le phare d’une pensée multiforme qui décloisonne les barrières entre les savoirs.

    Il a écrit sur la folie, la sexualité, la prison, la médecine, l’économie, la politique, en empruntant ses sources autant aux philosophes, aux écrivains et aux peintres qu’aux scientifiques et aux historiens. Il faisait figure de rassembleur qui a eu son heure de gloire, en particulier aux États-Unis, surtout dans les facultés où s’enseignait les gender studies, quelques années avant de mourir du sida en 1984 (il était né en 1926).

    Sa pensée est dorénavant prise en compte après avoir été boudée longtemps par les philosophes eux-mêmes, les Français au premier abord. On pourra suivre son cheminement intellectuel dans la réédition en livre de poche de l’ouvrage de Didier Éribon, Michel Foucault.

    Dans cette biographie revue et augmentée, l’auteur évoque plus amplement la vie privée du philosophe, soit sa sexualité et son attirance pour les jeux SM, la drogue (il prenait de l’acide, entre autres). Le biographe permet ainsi de souligner que l’intimité d’un penseur peut très bien participer de ses projets intellectuels. Et, en même temps, il indique que la personnalité de Foucault se moulait dans son analyse et dans sa critique des savoirs et des pouvoirs.

    C’était un rebelle affranchi de tout moralisme; un homme entièrement préoccupé par le souci de l’éthique et de la liberté, indissociable de son travail de philosophe, d’historien et d’archiviste; ce souci se retrouvait entièrement en ce qui se rattache à l’intime, de l’amitié.

    Ce qu’aimer veut dire / Mathieu Lindon

    C’est ce qu’on constatera en lisant le beau livre de Mathieu Lindon (j’ai souvent parlé de ses fictions dans Fugues), livre qui n’est pas à proprement parlé un témoignage, ni véritablement un roman. Ce qu’aimer veut dire raconte la relation passionnée que le jeune critique et romancier a eu durant les six dernières années de la vie de Foucault.

    Lindon a vingt ans de moins que le penseur, mais ce dernier n’est pas un père pour lui; il ne remplace pas le sien, fort connu puisqu’il est directeur des Éditions de Minuit. Il le dit et le répète souvent : si on peut avoir de l’acrimonie, voire de la bassesse vis-à-vis de son père, cela ne s’est jamais produit avec Foucault : « … jamais je n’ai eu envers lui la moindre jalousie, la moindre aigreur, la moindre exaspération, ce que personne n’est en droit d’attendre du meilleur fils ni du meilleur amoureux. » Mathieu aime totalement Michel, même s’il n’a jamais couché avec lui.

    C’est par hasard qu’il le rencontre : Hervé Guibert l’amène à l’appartement du philosophe, rue de Vaugirard. Par la suite, il s’y rendra toutes les semaines; s’y installera même durant les séjours à l’étranger du penseur. Sa fréquentation ne tient pas du fanatisme du disciple. Comme Foucault n’est pas non plus un père, Lindon n’est pas non plus dans une initiation de la vie – malgré, comme il écrit, une « adolescence désastreuse ».

    Le jeune Mathieu, qui commence sa carrière de critique, est dans le partage entier avec un homme qui ne veut exercer aucun pouvoir, qui est la générosité même. Il commencera, par exemple, à prendre de l’acide avec cet homme qui est en train d’écrire L’usage du plaisir et qui en consomme déjà régulièrement ; également de la cocaïne. C’est d’ailleurs quelques jours après un trip épuisant que l’ami de Lindon entrera à l’hôpital et y décédera du sida.

    Mais Michel Foucault n’est pas la seule figure tutélaire de ce faux-vrai roman. On trouve celle de Jérôme Lindon, qui y prend une énorme importance : c’est un père qui, au fil des ans, deviendra a contrario le philosophe d’une vie qui « est faite pour l’oubli ». On rencontre également Beckett, Duras, Robbe-Grillet, mais surtout Hervé Guibert, qui racontera plus tard dans son roman À celui qui ne m’a pas sauvé la vie une partie de la vie de cette communauté de jeunes gens et la maladie de Foucault.

    Autour de cet homme libre et accueillant, ils n’apprennent pas la sagesse ou l’humilité, mais les règles du savoir-vivre ensemble dans le partage de l’amour et dans la protection réciproque des sentiments. Riche récit généalogique au babil à la fois naïf et percutant, Ce qu’aimer veut dire est un livre remarquable.

    Michel Foucault: 1926-1984 / Didier Eribon. Paris : Flammarion, 2011. 565p.

    Ce qu’aimer veut dire / Mathieu Lindon. Paris : P.O.L., 2011. 320p.

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