Fugues célèbre, ce mois-ci, son 30e anniversaire et les motifs de réjouissances sont nombreux. Fugues a été le témoin des transformations d’une période extraordinaire que les jeunes gais et les lesbiennes ont peut-être encore du mal à comprendre, bien qu’ils la vivent déjà. Tout est allé très vite, à l’image d’une société à la recherche de son identité, tant nationale qu’individuelle, et qui, sous l’effet conjugué de la mondialisation, de l’immigration et de l’arrivée d’Internet, a radicalement changé depuis avril 1984.
Les plus jeunes, qui découvrent Fugues aujourd’hui, doivent percevoir inconsciemment que ce magazine a une histoire, et qu’elle a débuté il y a longtemps, et ce, même s’ils n’ont qu’une vague idée de ce qu’étaient les réalités gaies et lesbiennes d’il y a trente ans.
En consultant les vieux numéros de Fugues, il n’est pas seulement étonnant de voir le chemin parcouru sur le plan légal, mais de se rendre compte comment nos habitudes de vie, la culture gaie et nos intérêts comme communauté ont aussi évolué en 30 ans. Au fil des ans, nous avons ouvert nos pages aux nouvelles réalités du Québec — son visage multiethnique, les questions entourant l’homoparentalité, le vieillissement, la prévention de la santé. Et nous avons suivi les revendications naturelles et légitimes des plus militants d’entre nous, en braquant les projecteurs sur les tendances qui traversent nos communautés, ici et ailleurs, et les expressions d’une culture toujours plus foisonnante et diversifiée.
Après des années de militantisme et de revendications, les gais et les lesbiennes du Québec sont, non seulement, protégés par les lois, mais sont devenus des citoyens à part entière. Ils ont, en outre, obtenu une visibilité incroyablement développée dans les médias et dans la vie de tous les jours. En trente ans, les gais se sont imposés comme prescripteurs de tendances, bien au-delà de la mode, du design et de la musique. Il est indéniable que nous avons largement influencé l’évolution du couple, de la famille, de la sexualité. Fugues en a été le témoin, et parfois un acteur, soutenant et rendant fidèlement compte des actions visant au mieux-être et à l’épanouissement de notre communauté.
Au fil des ans, l’un des défis qu’a dû relever l’équipe a sans contredit été celui à rejoindre, intéresser et passionner un grand nombre de lecteurs et de séduire des annonceurs ayant des intérêts et des besoins fort différents de ceux qui soutenaient le magazine à ses débuts. Grâce à l’acharnement de tous, à l’ouverture plus grande vis-à-vis les réalités gaies et lesbiennes, ainsi qu’à l’évolution des professionnels de la publicité et du marketing, Fugues a montré sa capacité à affronter les réalités économiques changeantes, sans jamais perdre de vue les intérêts des lecteurs.
Divers articles que vous retrouverez dans cette édition anniversaire permettent de comprendre que les trente dernières années comptent parmi les plus importantes de l’histoire moderne de l’homosexualité au Québec. Par ailleurs, et de manière à marquer le coup, nous vous proposerons en collaboration avec l’Écomusée du Fier Monde, un retour thématique sur les 30 dernières années, du 19 juin au 31 août. Témoignage de l’évolution de la communauté GLBT au sein de la société québécoise, l’exposition Fugues se souvient parcourra les moments marquants des trente dernières années. Sur toile de fond de près de 400 couvertures de magazines, le visiteur voyagera à travers les étapes charnières du changement social en abordant une douzaine de thématiques dont la reconnaissance des couples de même sexe, la répression sociale, la naissance et l’évolution du Village, le VIH/sida, l’économie rose, l’identité de genre, l’esthétique masculine, etc. De la marginalité à l’égalité, Fugues se souvient.
Personnellement, ce dont je suis le plus fier, c’est que l’équipe de Fugues, a su faire évoluer le magazine et a su en diversifier le contenu et les points de vue exprimés, de manière à ce que vous vous y retrouviez. Tout en gardant la fraîcheur, l’authenticité et l’humour des débuts, nous avons su évoluer et trouver un équilibre entre divertissement, informations pratiques et réflexions, qui lui a permis de traverser le temps.
Au moment où plusieurs publications ferment leurs portes, certains pourraient craindre pour l’avenir de Fugues. Je tiens à les rassurer. Oui, nous sommes plus présents que jamais sur le web et les réseaux sociaux et les défis sont nombreux dans une industrie du magazine en transformation, mais il n’est pas de notre intention de changer de cap et ce n’est pas pour demain que l’on cessera de publier sur du papier. Tout simplement parce qu’il s’agit d’un format que vous privilégiez encore pour la très grande majorité d’entre vous et parce que vous êtes encore au rendez-vous chaque mois en très grand nombre, ce qui nous permet de vendre des espaces publicitaires dans un nombre suffisant pour que l’exercice soit rentable.
Permettez-moi, en terminant, de remercier mes collègues et collaborateurs, sans qui le magazine ne pourrait se faire. À l’équipe qui a donné vie au magazine au cours des premières années, je veux exprimer ma vive reconnaissance. Car avant d’en devenir le rédacteur en chef, il y a vingt ans, j’ai d’abord été, comme vous, un lecteur.
Yves Lafontaine