Vendredi, 29 mars 2024
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    Deux façons ordinaires : « Un bon garçon » de Paul McVeigh / « Je suis en vie et tu ne m’entends pas » de Daniel Arsand

    Un jeune enfant irlandais et un jeune homme allemand dans deux époques différentes, aux destins différents également. Deux garçons ordinaires, qui nous permettent voir un monde pas forcément ordinaire. Deux regards subjectifs grâce un «je» qui déchiffre la vie sous un angle inédit et lui trouve un sens.

    Mickey Donnelly est l’enfant irlandais du premier roman de Paul McVeigh, Un bon garçon. Il a 10 ans, vit à Belfast où il est né « le jour où les Troubles ont commencé » (ils se sont produits entre 1960 et 1990). Nous sommes dans les années 80, à la fin de l’année scolaire de Mickey qui espère, ensuite, changer d’école pour éviter les brimades.

    Il excelle à se raconter des histoires et il rêve surtout de quitter les émeutes, les bombes, les soldats anglais et, surtout, la pauvreté et la crasse de son quartier catholique pour aller en Amérique et devenir un acteur (toutes ses références sont tirées du cinéma américain). Malgré les claques et les cris de sa mère, il la vénère ; elle se débat avec l’argent – ou, plutôt, avec le manque d’argent – dépensé par un mari alcoolique.

    Il a une petite sœur qu’il adore et déteste son grand frère, brutal avec lui. C’est un garçon, sensible, intelligent, narquois, qui comprend tout d’un seul coup d’œil. Il subit les insultes parce qu’il est efféminé. Il observe attentivement les garçons autour de lui, voudrait s’en faire des amis, mais ceux-ci l’ignorent. Il se dit amoureux de Martine, sa voisine. C’est un enfant solitaire, innocent, angoissé, à la sexualité naissante (il commence à se masturber), et ses envies et comportements font beaucoup penser à Billy Elliot du film de Stephen Daldry 

    On le suit donc pendant ses vacances d’été entre les troubles historiques qui apportent la mort : son chien est tué par une bombe, un soldat anglais meurt devant lui. Il ne sera pas admis à la fameuse Malachy Grammar School. Où se logeront dorénavant ses rêves?

    On se prend de sympathie pour ce garçon gentil en quête de bonheur dans un monde violent. On partage sa sensibilité grâce à l’écriture de Paul McVeigh qui a adopté le point de Mickey et nous immerge dans une réalité agressive, traversée par l’horreur des affrontements et de la misère, mais aussi par des moments de douceur et de bonté. Un beau roman donc, qu’il faudrait lire dans la langue originale pour apprécier pleinement l’efficacité de son écriture. 

    Je suis en vie et tu ne m’entends pas / Daniel Arsand

    Autre roman au « je », par un auteur qui a déjà douze titres à son actif. C’est aussi une personne ordinaire que décrit Daniel Arsand dans Je suis en vie et tu ne m’entends pas. C’est Klaus Kirschkuh, un adulte, un homosexuel dans l’Allemagne de l’après-guerre, qui a subi l’emprisonnement dans un camp de travail au nom aussi terrifiant que celui d’Auschwitz, mais qui n’était pas un camp de la mort, Buchenwald, où étaient parqués, entre autres, les « triangles roses ». 

    Klaus a 23 ans quand il revient dans sa ville natale en ruine, Leipzig, en novembre 1945. Il a passé quatre ans à Buchenwald. Ses parents ne l’attendaient plus et l’accueillent avec indifférence; ils ne veulent rien entendre du camp ni des raisons de l’enfermement de leur fils.

    Décharné et angoissé, Klaus ne peut effacer l’inhumanité qu’il a subie de la part des kapos et des gardiens, dont des viols collectifs. Même pour les prisonniers, il est un moins que rien : un homosexuel. Il ne peut pas revoir Heinz Weiner, celui qu’il avait aimé, disparu, soldat mort, comme il l’apprend. Klaus étouffe dans cette ville qu’il ne reconnaît plus – et qui ne le reconnaît plus.

    Tout est détruit, pourri, comme il dit. Tout est encore pour lui, dans sa tête, barbelés, supplices, hurlements. Pour survivre, Klaus doit se reconstruire, trouver une autre mémoire qui n’aura plus rien à voir avec la violence, la maltraitance, les injures, l’humiliation et les morts; il doit regarder autrement la vie pour gagner une dignité — qu’il avait perdue dans le camp — et s’armer d’un nouveau combat pour sa reconnaissance en tant qu’homme.

    Mais comment cicatriser des blessures béantes? Très subtilement, avec une écriture poétique profonde, Daniel Arsand montre comment Klaus redevient un homme, celui que les nazis ont voulu détruire. Il trouve un job chez un tailleur où travaille un Français, René, avec lequel il part pour la France. Il espère y trouver l’apaisement, le bonheur, l’amour. La guérison est lente.

    Klaus apprivoisera son nouvel univers grâce à Julien, son grand amour, à qui il pourra dire ce qu’il a subi. Mais la vie se révèle encore un combat permanent, et dans les années 80, une nouvelle terreur s’installe, le sida, qui encore une fois rejette les homosexuels dans l’opprobre. On ne sera donc jamais en paix?

    Klaus devra s’engager, il écrira un livre qui rappelle celui de Heinz Heger, de 1980, Les hommes au triangle rose et celui de Pierre Seel, de 1994, Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel. Klaus Hirschkuh ne veut plus être une ombre, un souffle, un fantôme; il ne veut plus baisser les bras. « Je ne recule jamais », affirme-t-il à la fin de ce roman bouleversant, qui est un cri.

    Un bon garçon / Paul McVeigh, traduit de l’anglais (Irlande)par Florence Lévy-Paoloni. Paris: Philippe Rey, 2016. 252p. 

    Je suis en vie et tu ne m’entends pas / Daniel Arsand. Arles: Actes Sud, 2016. 268p.

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