L’administration fédérale a décidé de supprimer ou du moins de faire attention aux titres de civilités à utiliser pour ne pas froisser celles et ceux qui ne s’y reconnaîtraient pas. Et bien sûr, de nombreux commentateurs ont ridiculisé cette recommandation jusqu’à ne plus savoir comment s’adresser à quelqu’un: Massieur, Mondame, Chose?
Au-delà de toutes les plaisanteries qui fleurissent, on perçoit surtout une résistance à tout changement, même s’il tend vers un peu plus d’égalité et de respect des différences.
J’ai deux ami.es en France qui partagent le même prénom Claude. Claude C. et Claude F approchent de la soixantaine. Claude F, au téléphone, n’a jamais eu à rectifier le tir. On l’appelait automatiquement Monsieur Claude F? Parfait, il se considère comme homme. Pour Claude C, qui se définit comme femme, toute sa vie a été marquée par ce fameux Monsieur Claude C? Pire, parfois, on lui demandait de leur passer le fameux Monsieur Claude C. Le masculin prévaut toujours même dans les prénoms épicènes. Un exemple que TOUTES les Claude de la terre doivent bien connaître. On pourrait aussi ajouter les prénoms étrangers qui ne nous donnent aucune indication du genre de la personne, ou encore la tendance actuelle à donner des prénoms exotiques à ses enfants, il est difficile de savoir qui est qui. La prudence souhaitée par le fédéral se justifie donc.
Des exemples qui prouvent largement que le fait de ne plus utiliser obligatoirement Monsieur et Madame n’est pas une faveur faite au fameux lobby LGBTQ2S+ ou une concession à un quelconque diktat d’organismes féministes.
Parent 1 et Parent 2
Crimes impardonnables pour les traditionnalistes devant la disparition de Père et Mère dans les actes officiels au profit de Parent 1 et Parent 2 pour tenir compte aujourd’hui d’une nouvelle réalité, des enfants ayant deux mères ou deux pères. Ironiquement, un animateur prêt à tout pour faire rire sur une radio nationale, n’était pas contre ce changement dans la mesure où sa conjointe le laissait cocher Parent 1. Il confirmait sans même s’en rendre compte, la hiérarchie imposée par la case Père qui précède toujours la case Mère.
La langue française est sexiste. On le sait. Ceux, et j’insiste bien sur ceux, qui en ont établi les règles, les normes et l’usage l’ont entériné. Pas besoin de revenir là-dessus. Des mesures ont été prises pour lutter contre ce sexisme orthographique et grammatical sans que cela ne soulève la colère de la population. Que l’on pense à la féminisation des titres professionnels au Québec. Et cela ne date pas d’hier. On ne s’étonne plus lorsque l’on parle de LA ministre, de LA juge, de LA bâtonnière, etc. L’habitude et l’usage ont rendu obsolète toute discussion sauf pour quelques vieux croûtons – et croûtonnes – de l’Académie Française (pardon pour le plus jeune académicien Dany Laferrière, même s’il a un joli prénom épicène qui devrait faire réfléchir ses collègues sur la question du genre dans la langue).
De nombreuses langues ont modifié l’orthographe ou encore l’usage pour correspondre et s’adapter aux changements sociaux. Certains l’ont fait sans résistance de l’opinion publi-que. D’autres ont dû s’y reprendre durant de nombreuses années. Une vingtaine d’années si l’on pense à la réforme de l’orthographe au Portugal (de 1990 à 2014). D’autres pays ont tenu compte simplement de l’usage pour modifier officiellement leurs règles. Comme en Suède ou le pronom hen, pronom non genré s’est ajouté aux pronoms genrés hon pour elle, et han pour il. Hen a fait son entrée dans le Dictionnaire de l’Académie suédoise en 2014 sans que cela ne suscite ni colère, ni plaisanteries douteuses de la part de la population. Alors pourquoi cette résistance face au changement dans la langue française?
La langue française est complexe, truffée d’exceptions, et dont l’orthographe est difficile même pour ses propres locuteurs tant l’écart est grand entre le parlé et l’écrit. Mais c’est une langue qui évolue aussi. Il suffit de tenir compte de tout le nouveau vocabulaire entré en usage en lien avec le développement de l’informatique, de l’expansion des réseaux sociaux, des avancées technologiques. Et les dictionnaires intègrent dans leurs éditions annuelles une centaine de nouveaux mots.
On voit aussi apparaître, dans la graphie, des points qui terminent un mot suivi de l’accord au féminin. On s’essaie avec des termes plus généri-ques comme le mot personne qui a remplacé le mot homme pour tout ce qui concerne les droits humains sans que cela suscite des émois intempestifs de la part des défenseurs d’un français momifié). Bref, petit à petit, comme pour la féminisation des titres professionnels, on avance vers une écriture plus inclusive et le gouvernement canadien vient de faire sa part. Une petite part diront certains et certaines.
Ici, il n’est pas question d’interdire l’emploi du Monsieur et du Madame, il n’est pas question de supprimer partout et en tout temps Père et Mère, simplement d’en adapter l’usage aux réalités nouvelles. Le tollé s’est fait ressentir, comme si l’apocalypse était à nos portes et que les colonnes du temple se fissuraient. Réaction disproportionnée qui n’a aucun lieu d’être si on se livre à une analyse un peu plus serrée et un peu moins émotive. Il n’y aura pas d’écriture inclusive sans changements ortho-graphiques et grammaticaux. Ces changements modifieront nos habitudes, ils pourront prendre du temps mais arriveront à s’imposer.
Il n’est pas encore question d’imposer le pronom neutre Iel (ou pronom épicène) qui demanderait des ajustements pour toutes les règles d’accord, il n’est pas question encore de faire disparaître de la langue les pronoms personnels elle et il, ni même de bannir du vocabulaire père et mère, encore moins de rendre obso-lète Madame et Monsieur, simplement de tenir compte de l’évolution de la société et de s’y adapter.
Moi, je continuerai à demander à ce qu’on m’appelle Mademoiselle, n’étant pas marié, ne me reconnaissant pas sous le vocable Monsieur, et sachant que Damoiseau est obsolète.