Une bande dessinée déjantée qui démarre en vrille avec un regard cynique portée sur le harcèlement sexuel.
Béatrice travaille dans le département de la comptabilité d’une entreprise. Son patron, Georges, est un connard manipulateur qui lui fait clairement comprendre que si elle désire une promotion, elle doit coucher avec lui. Sinon, ce sera Jones, un incompétent de la pire espèce qui aura le poste.
Dès le départ, les rôles sont bien campés et on ne peut qu’espérer une terrible et satisfaisante vengeance pour Béatrice. Celle-ci décide donc de séduire son patron et lui fait boire une potion qui le transforme en femme.
Béatrice expose une vérité surprenante: elle a un pénis qu’elle utilise gaillardement sur George, qui porte maintenant le prénom de Gisèle. L’identité de genre de Béatrice demeure floue puisqu’elle mentionne que sa verge est due à un processus de transformation interrompue. La question demeure en suspens: interrompue vers quelle destination?
Littéralement sans papiers, Gisèle n’a d’autre choix que de devenir la femme de ménage de Béatrice ainsi que son amante. Jusque-là, la logique tient assez bien la route puisque Gisèle se fait imposer ce qu’elle a elle-même fait lorsqu’elle était homme. En l’occurrence, harcèlement, abus sexuel, travail coercitif et soumission au détenteur de l’arme ultime: un phallus!
Cette descente aux enfers parfois jouissive, c’est le propre de la vengeance, s’accompagne cependant de quelques inconforts scénaristiques qu’il est difficile de comprendre. En effet, Gisèle, au fil des relations sexuelles forcées (lire «viol»), réalise qu’elle commence à goûter l’expérience et développe un sentiment amoureux pour Béatrice (syndrome de Stockholm?).
Il est difficile de ne pas tiquer devant ce qui apparaît être un cliché réducteur de la psyché féminine, de même qu’un lieu trop commun entourant le viol («dans le fond, elle aime ça»). C’est d’autant plus décevant que le coup de crayon de Benoit Feroumont est fantastique et qu’il fait montre d’un humour caustique particulièrement jubilatoire.
Bien que la vengeance demeure la pierre angulaire du récit, cet élément n’en demeure pas moins extrêmement préoccupant. Une lecture quelque peu partagée donc: un conte polisson fort distrayant, dans la mesure où l’on conserve un regard très critique sur certains aspects.
Gisèle et Béatrice / Benoit Feroumont. Paris : Aire Libre, 2018. 128p.