On ne lui répète que trop: Cyril Avery ne sera jamais véritablement un Avery, puisqu’il fut adopté. Au-delà d’un coup de poignard familial particulièrement accablant, cette mise en garde a tout de même le mérite de l’obliger à amorcer une recherche très précoce: qui est-il donc vraiment?
Toute la prémisse du roman se trouve résumée dans cette petite phrase. Une formule qui peut sembler anodine sauf si l’on est gai et que l’on évolue au cœur de l’Irlande corsetée du milieu du 20e siècle dans un récit qui se poursuit ainsi jusqu’en 2015, avec la légalisation du mariage entre personnes de même sexe.
Né d’une fille-mère, bannie de son village (dans la grande tradition catholique de tolérance et d’entraide), le nouveau-né est confié à l’adoption afin qu’il puisse bénéficier de meilleures opportunités que sa mère. Bien évidemment, il jouit d’une certaine aisance matérielle, mais du côté humain, c’est presque zéro, du moins du côté de sa famille.
En effet, c’est plutôt auprès d’un compagnon de jeu, Julian, qu’il développe son humanité et éventuellement réalise que ce dernier est bien plus qu’un ami. Nous sommes cependant dans les années 60 et la simple mention du terme «homosexualité» ne génère que honte, frayeur ou dégoût: Cyril s’enfonce donc au tréfonds de son placard personnel, se contentant de rencontres furtives, peu gratifiantes, et tente même d’adopter la persona du jeune homme parfait et propret!
Suite à divers scandales où la vérité se révèle, il se réfugie à Amsterdam puis à New York où il part à la découverte de ce qu’il est réellement et ne revient en Irlande que dans les années 90, enfin prêt à confronter son passé.
Déjà considéré par la critique comme un grand classique de la littérature, John Boyne présente un récit et un parcours à la fois triste et attendrissant, mâtinés de moments plus rigolos et de descriptions de pratiques sexuelles à la fois réalistes et crues.
Il est presque impossible de résister au voyage auquel on est ainsi convié et il est encore plus difficile de dire adieu à ce Cyril, avec qui l’on a tant partagé, lorsque l’on en referme la dernière page.
Les fureurs invisibles du cœur / John Boyne. JC Lattès (2018, 591p.) / Littérature étrangère