La Saint-Valentin m’a toujours laissé perplexe. Comme toutes les célébrations officielles et surtout marchandes d’ailleurs. Je ne peux m’empêcher, au-delà de l’aspect mercantile, d’y voir les strates du patriarcat et de la phallocratie. En fait, des stratégies pour assurer la pérennité d’un système inéquitable pour les femmes.
Bien sûr avec les changements sociétaux et légaux, les gais, les lesbiennes et les personnes trans ont investi ces rituels. Non pas pour les détourner comme il fut un temps où je le croyais, mais pour en faire partie, pour les sacraliser. Deux petits bonshommes en smoking, ou deux femmes en robe blanche au-dessus d’un gâteau de mariage ne révolutionnent rien. Ils et elles rentrent dans le rang. Assimilation pour ne plus être en marge, sur le quai mais bien dans le train avec les autres.
Je n’ai jamais participé à la Saint-Valentin même quand j’étais en couple. Un refus instinctif de me plier aux conventions imposées plus que choisies. D’autant, que même si je crois en la vertu du mariage, aux amours longue distance jusqu’à ce que la mort les sépare, j’ai toujours cru aussi à d’autres formes relationnelles qui ne se limitent pas au couple ou encore qui ne s’inscrivent pas dans la longévité.
À une époque aujourd’hui lointaine, nous ne nous contentions pas de réfléchir sur les questions de couple ouvert ou exclusif, nous expérimentions aussi. Des relations à trois ou à quatre, des tentatives pour sortir du moule binaire. Bien sûr, nous devions remettre en question tout ce qui nous avait été inculqué, des contes pour enfants aux injonctions des parents qui parlaient de nos futurs mariages, enfants à la clef. Hors du couple, point de survie, encore moins de vie réussie.
J’ai eu pendant deux ans, ou à peu près, plusieurs amants en parallèle. Appliquant à la lettre mon refus d’être prisonnier de l’un ou de l’autre. Ces amants étaient au courant de l’existence des autres. Cela posait quelques petits problèmes d’agenda, et surtout de savoir avec lequel des quatre je me réveillais le matin. Je me suis rendu compte à l’époque de l’utilité des petits mots doux affectueux et parfois ridicules dont on affuble l’être aimé, comme mon lapin, mon Lou, etc., évitant de me prendre les pieds dans les fleurs des draps en me trompant de prénom.
Mais très vite ressurgissait chez eux la difficulté à partager le sentiment amoureux avec d’autres. Très vite, certains tentaient d’occuper la position no 1 dans l’ordre de mes amants. Très vite, l’insécurité de n’être pas l’unique objet de mon désir les perturbait, et les longues négociations commençaient pour me forcer à choisir. Quelques mois houleux où le plaisir du polyamour faisait place rapidement à la jalousie du polyamour. Une Saint-Valentin réunissant les quatre amants du moment se serait donc terminée en Saint-Barthélemy (massacre des protestants à Paris le 24 août 1572).
Ajoutons à cela que j’ai toujours eu une difficulté à dresser parfois une frontière entre amour et amitié et donc de vivre dans un flou inconfortable pour l’amant du moment Ajoutons une autre difficulté à m’engager officiellement, genre à signer un bout de papier, devant Dieu ou les dieux-déesses, les femmes, les hommes, l’État et la société.
Bien sûr, on parle beaucoup aujourd’hui de ce fameux «polyamour» généralement dépassant l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, une ouverture à la diversité humaine, certes, et la possibilité de multiplier les expériences amoureuses que l’on souhaite enrichissantes aussi bien pour nos partenaires que pour nous-mêmes. Mais voilà, nos cultures ne privilégient pas cette multiplication d’engagement affectif et sexuel. Même si la nouvelle députée de Québec Solidaire, Catherine Dorion, s’en réclame dans un de ses derniers livres parus en 2017, Les luttes fécondes. Libérer le désir et l’amour en politique (Éd. Atelier 10). Elle reste encore une exception.
Il est difficile de sortir du moule binaire de l’amour, quelle que soit l’orientation sexuelle ou l’identité de genre des deux entités du couple. Difficile d’échapper à cette idéalisation du couple, d’autant plus qu’il est le socle sur lequel se construit une famille. Il est vanté, valorisé, sujet à je ne sais combien de mesures sociales et légales pour le protéger, voire l’aider. Il est l’objet de je ne sais combien de campagnes de pub pour le faire consommer. Jusqu’au bal de finissants où les ados doivent être accompagnés le plus souvent de leur partenaire-amant(e) du moment pour être dans le ton.
Quid des autres formes de relation ? Ou même quid de celles et ceux qui sont célibataires. Les premières relèvent d’une expérimentation vouée à l’échec, comme mes relations de ma jeune vingtaine, les second.es sont considéré.es comme des laissés-pour-compte, des pas chanceux de la vie. Rares sont les émissions où sont abordées ces questions-là, rares aussi où ces modes de vie relationnelles sont louées, vantées comme des façons d’être aussi valables et épanouissantes que celle du couple.
La Saint-Valentin représente l’ultime clou dans le cercueil des relations dites marginales, dites hors normes. La Saint-Valentin est un rappel bruyant et coloré de la voie royale que serait le couple, des fleurs au chocolat, du restaurant au petit dîner cocooning à la maison, chandelles et pétales de roses sur le lit.
Toute norme génère de l’exclusion, la Saint-Valentin n’y fait pas exception. Grande évolution des dernières décennies, les couples de même sexe y sont inclus, mais quand y inclurons-nous aussi les personnes seules et celles qui se retrouvent dans d’autres schémas amoureux et sexuels que le sacro-saint couple. Bonnes Saint.es Valentin.es à tout.es.