Au hasard d’une séance de dédicaces de son dernier roman, le regard du narrateur est harponné par les beaux yeux, ainsi que les mains velues, de Christophe.
C’est à sa grande surprise que, célibataire de fraiche date, le romancier se prête ainsi au jeu de la séduction. Les deux hommes partagent de nombreux points communs dont un qui n’est pas sans les décontenancer : André, le conjoint de Christophe avec qui il forme un couple ouvert, est l’ex de l’autre.
Le quiproquo pourrait se limiter à n’être que surprenant et amusant si ce n’est du fait que la rupture du romancier n’a que deux mois d’âge, qu’ils étaient mariés et qu’ils étaient en couple depuis bientôt 9 ans, soit la même durée que pour Christophe. Si on ajoute à cela, la jalousie obsessionnelle d’André envers les infidélités imaginaires dont il accusait le narrateur et on se retrouve devant une information qui a tout d’une bombe!
Cette découverte déclenche une remise en question complète de la mémoire d’une relation placée sous le signe de manipulations qui confinaient bien souvent à la violence psychologique et, parfois même, physique. Ceci n’est également pas sans conséquence pour Christophe qui ne peut évidemment jeter le même regard sur sa douce moitié qui vient d’ailleurs tout juste, ironie du sort, de lui faire une demande en mariage.
Le roman navigue élégamment entre deux eaux : celles, troubles, d’un regard porté sur une relation toxique et celles plus paisibles, bien qu’incertaine, d’une amitié bâtie sur la découverte d’un mensonge. Au-delà d’une trame narrative fort intrigante, l’une des grandes forces de Denis-Martin Chabot tient dans la crédibilité de dialogues qui évoquent, instantanément, un ton et une émotion dans l’esprit du lecteur.
Les joutes rhétoriques entre Français et Québécois sont d’ailleurs savoureuses et on se surprend souvent à éclater de rire au détour d’une phrase. Avec un tel sujet, on pourrait aisément imaginer une matière empreinte de douleurs et d’introspections laborieuses alors qu’il n’en est rien. En effet, l’autopsie de cette trahison et des violences qui y sont corollaires se fait de pair avec une certaine légèreté de l’âme d’un narrateur résolu à mordre dans la vie à pleines dents.
Et c’est avec bonheur que nous répondons à cette invitation de l’accompagner dans son périple!
Escales parisiennes / Denis-Martin Chabot. Varennes : Nycolas Doucet, 2019. 179p.