Prix du Gouverneur général 2019 célébrant un récit à la fois lumineux et presque intolérable relaté du point de vue d’un jeune garçon et futur auteur : Darrel J. MacLeod.
La sœur de celui-ci est agressée par un oncle et lui-même par son beau-père alors qu’ils ne sont encore que des enfants. Sa mère a sombré dans l’alcoolisme après s’être échappée d’un pensionnat catholique albertain où, dès l’âge de six ans, on lui retire sa langue et sa culture en lui répétant inlas-sablement, jour après jour, qu’elle doit parler anglais et non cri et prier la Vierge pour qu’elle la sauve.
Nulle surprise d’assister à une descente aux enfers pour cette femme qui pourtant, en raison d’un attachement qui résiste à tout, n’en inculque pas moins à son fils la fierté de ses origines, de ne laisser quiconque le rabattre ou le restreindre et de ne jamais cesser d’écouter le chant des oiseaux. Paradoxe donc d’une mère brisée qui représente une figure à la fois inspirante et traumatique pour Darrel et qui, par la force de son inertie, oblige le jeune garçon à devenir adulte, dès l’âge de 13 ans, et à s’occuper de celle-ci et de ses frères et sœurs.
Étonnamment, c’est la littérature française, en particulier à des auteurs existentialistes comme Jean-Paul Sartre, d’ailleurs en épigraphe du livre, qu’il s’accroche à une perspective d’avenir pour lui et ses proches : « On peut toujours faire quelque chose de ce qu’on a fait de nous.»
Qu’il s’agisse d’une réappropriation de sa culture, de la difficulté d’assumer les responsabilités d’un adulte, des relations de pouvoir et des abus psychologiques et sexuels, de la découverte de son identité sexuelle (chez lui ou chez son frère Greg qui lui révèle éventuellement qu’il a toujours été Trina), l’ouvrage présente 17 récits emblématiques qui nous font suivre un quotidien à la fois tourmenté et inspirant.
La formule peut sembler usée, mais malgré la douleur et les difficultés vécues par cette famille, l’écriture n’en dégage pas moins une impression de légèreté et d’espoir désarçonnant. Le titre peut sembler obscur, mais prend tout son sens lorsque l’on apprend que le terme «mamaskatch » signifie « rêve partagé » en langage cri : une symbolique puissante pour un jeune garçon en quête de ses racines et de son avenir. Le volume se clôt alors qu’il est encore un jeune homme et une suite prochainement attendue.
Mamaskatch : Une initiation crie / Darrel J. McLeod. Montréal : VLB, 2020. 411p.