La sagesse, c’est de l’ordre de l’enfance pour moi. Du bon petit chien fidèle et obéissant que j’étais. Tellement un gentil Denis-Daniel. L’adolescence et la découverte d’une sexualité hors norme ont fait s’écrouler toutes les barrières, les faux-semblants, les «comme si», les bienséances vides de sens. J’ai mis au rencart la sagesse, préférant à cette époque la révolte.
Aujourd’hui, en ce début de soixantaine, je me fous toujours autant de la sagesse que lorsque j’avais quinze ans. En fait la sagesse me fait peur. Elle est un arrêt sur image, un Moïse fossilisé par les artistes avec ses tables. La sagesse, les cimetières en sont pleins.
Alors je me répète et chante les paroles de Brigitte Fontaine dans Prohibition (2009): «Je suis vieille et je vous encule avec mon look de libellule», ou plus loin «Je veux baiser, boire et fumer». Bien sûr, il y a de la provocation comme toujours chez Brigitte Fontaine, mais au-delà de l’enflure des images, il y a une véritable ode à la vie, au mouvement, à être encore de ce monde, à ne pas se laisser enfermer dans des cases réductrices.
Vieillir ce n’est pas devenir dépendant des autres, de la société. Vieillir, ce n’est pas devenir un poids mort, à qui on ne devrait pas plus ni moins d’égards que pour les autres membres de la société indépendamment de l’âge ou de la situation physique et mentale.
Aujourd’hui, il y a une infantilisation prématurée des vieux et des vieilles. On entend les spécialistes de tous poils, les gériatres, les psys, les travailleurs.es social.es, les enfants des vieux et des vieilles. Mais peu la voix des principaux et principales concerné.es.
Faudra-t-il un jour constituer des groupes militants de vieux et de vieilles pour que leurs droits comme citoyens et citoyennes soient reconnu.es, respecté.es, pour que leurs voix soient entendu.es, écouté.es. Que l’on comprenne enfin que ce n’est pas une masse anonyme, à qui l’on doit donner du manger mou et changer régulièrement les couches.
Ce sont avant tout des individu.es qui ont encore pour leur très grande majorité leur libre arbitre, qui refusent d’être soumis à la condescendance soi-disant bienveillante des plus jeunes, ou encore de nos gouvernements. Vieillir n’est pas une maladie, ni une épidémie, pour lesquelles on aurait créé des lieux de vie plus proches de camps de réfugié.es pour les enfermer, les soustraire au monde extérieur.
Ironie du sort, peut-être que le confinement obligatoire nous donne un petit aperçu de ce que vivent beaucoup de vieux et vieilles aujourd’hui. Et pour eux et elles, il n’y a aucun espoir d’un déconfinement à venir. Cela devrait nous faire réfléchir.
Et de porter sur nos semblables un regard, un comportement différent. Nous sommes toutes et tous dans le même bateau, celui de la vie, indépendamment de toutes les particularités qui nous composent qui font notre singularité, notre originalité. Chacun est unique, et nous ne pouvons l’être vraiment que parce que nous sommes ensemble, parce que nous prenons soin des uns et des autres selon les situations que nous vivons et non en fonction d’une caractéristique arbitraire, limitée et étouffante: l’âge.
Ils et elles sont nombreux.ses à refuser l’indifférence et l’individualisme. La liste des personnes que je connais dans le communautaire LGBTQ2S+ est immense. Comme c’est le cas dans d’autres secteurs de la société. Mais au regard de ce que nous vivons aujourd’hui, ils et elles sont encore trop peu. Seule consolation, ils et elles ne lâchent pas.
La sagesse m’a quitté depuis bien longtemps, mais l’homme révolté que je suis n’a pas changé. Toute injustice dans ce monde est une blessure collective, et si nous sommes un tout petit peu attentif, nous la voyons, nous l’entendons, nous la ressentons. Nous nous devons d’y répondre avec empathie, avec solidarité, avec amour. L’amour que nous réclamons souvent et que nous ne donnons pas assez.