Mercredi, 26 mars 2025
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    Étrange étranger

    Je suis né à Paris dans une famille blanche athée. Nous appartenions à la classe ouvrière avec des difficultés de fin de mois, des déménagements à la sauvette quand les lettres d’huissiers s’accumulaient. Je suis donc né Français. Un accident somme toute. J’aurais très bien pu naître ailleurs dans des pays lointains, ou encore dans un milieu social pire que le mien ou bien mieux. Un accident somme toute.

    J’ai été éduqué à l’école de la République. Chaque année pendant les cours d’histoire, on mettait de l’avant la grandeur de la France, son histoire, sa richesse, et bien évidemment, par contraste, on soulignait les faiblesses inhérentes à leur population et à leurs dirigeants des autres pays qui ne pouvaient égaler le génie de l’hexagone. Ce type d’éducation laisse des traces. Longtemps, j’ai entendu de la part des adultes de mon entourage des commentaires négatifs sur les Belges, les Suisses, les Italiens, les Portugais, les Espagnols. Moins sur les immigrants d’Afrique du Nord ou d’Afrique Noire, les anciennes colonies françaises. Quantités négligées, anciens colonisés, ils ne représentaient ni menaces, ni dangers pouvant égratigner la grandeur d’un pays qui avait à son actif les Droits de l’Homme (cherchez la femme), la Révolution, l’égalité, la fraternité, et la liberté comme devise.

    Un chausson aux pommes avec ça !!! Bien évidemment, à l’école, il n’y avait pas que des têtes blondes. De plus, comme je n’allais pas au catéchisme, je restais à l’étude avec mes condisciples musulmans et juifs qui eux, ne comprenaient pas que je sois dispensé de catéchisme. C’est à cet âge que j’ai découvert que l’on pouvait être circoncis. Merci les toilettes pour garçons et le laxisme des surveillants. Lors de ma première escapade, fugue diront certains éducateurs, à seize ans, j’ai parcouru pendant deux mois en autostop les routes d’Europe du nord. Je suis allé voir ces fameux Belges que je ne connaissais que par les nombreuses blagues racontées à la fin des soupers de famille. Et j’ai découvert qu’au-delà de quelques différences, les gens vivaient la même chose qu’en France.

    Et il en a toujours été de même pour tous les voyages que j’ai faits après cette première escapade. Les préoccupations sont les mêmes, les richesses culturelles équivalent celles de la France, et loin de me rebuter, j’étais fasciné par tout ce qui me semblait “exotique” surtout pour l’adolescent un peu naïf et constipé que j’étais. Je voulais toujours tout comprendre, tout découvrir. Et pas seulement le corps d’un jeune noir qui m’avait pris en stop entre deux villes. Et je garde un souvenir encore ému de cette rencontre. Bien sûr, elle était sexuelle, mais il y a eu les conversations avant et après qui ont contribué aussi à regarder l’Autre autrement. 

    Rentré en France, j’avais repris à mon compte la célèbre phrase d’une comédienne inquiétée à la libération en 1945 parce qu’elle avait couché avec des Allemands: «Mon cœur est français mais mon cul est international». Quelques années plus tard, je modifiais cette phrase pour dire que si mon cul était international, mon cœur l’était tout autant. Mes voyages, mes engagements, mes emplois, et les rencontres – sans oublier les sexuelles – m’ont amené à déconstruire tout ce que l’on m’avait enseigné à l’école et dans la famille. Il a fallu me dégager de toutes les idées préconçues sur ces étranges étrangers. Mais plus aussi à ne plus considérer la France – et Paris – comme le centre du monde au-delà duquel il n’y avait point de salut. À regarder avec un peu plus de sincérité l’histoire d’un pays, mon pays, avec ses réussites, mais aussi, ses torrents de sang versés au cours des siècles, ces velléités colonisatrices et impérialistes, de faire somme toute le tri.

    Que les Français.es dit.es de souche étaient issu.es aussi des différentes invasions qui ont marqué l’histoire de la France. Le pur laine n’existe que dans nos têtes. L’Autre est par définition, par essence différent. Qu’il soit proche, de ma famille, de mon village, de mon pays, il reste différent. Et c’est bien cette différence qui nous fascine, qui nous attire et qui nous permet de nous rencontrer, de nous retrouver en tant qu’humain. 

    Je connais aussi les privilèges liés à mon lieu de naissance. Entre autres de ne pas venir d’une culture qui a souffert de la colonisation, de l’apartheid, qui a joué un rôle prépondérant historiquement. Je n’ai pas eu à la défendre, à la faire reconnaître, à m’en justifier. Entre autres aussi d’avoir souvent été perçu comme un petit mâle blanc, et mieux traité que mes sœurs blanches, que les immigrant.es, mais j’en ai très vite perçu leslimites. Mon orientation sexuelle m’a relégué au rang de sous-citoyen pendant des années. Mais aussi mes origines sociales. Dans un pays fortement hiérarchisé, j’ai quotidiennement été confronté à cette différence en tant qu’étudiant.

    Pour être plus clair, je ne possédais ni les codes, ni les connaissances, ni ce fameux bagage culturel pour m’insérer furtivement dans des sphères extrêmement soucieuses des marqueurs de leur statut. De façon explicite ou implicite, on me faisait sentir comme étranger à mon nouvel environnement universitaire. Pire, comme gai, ou comme issu du lumpenprolétariat, je prenais une valeur exotique aux yeux des personnes les plus ouvertes, s’achetant une bonne conscience d’intellectuels (de gauche?) en exhibant dans des soirées entre gens du monde le phénomène que j’étais.

    Attitude sympathique peut-être, mais qui souli-gnait avec toutes les bonnes intentions l’humiliation de ma condition sociale. Rejeté des mouvements de gauche à la défense des ouvriers, pour déviation bourgeoise (l’homosexualité), toléré dans des univers académiques, bien loin de mes origines, j’étais décalé, et je le suis toujours. Mais j’ai appris à aimer cette posture à laquelle j’ai été contraint. Cela m’a rendu plus sensible aux différences et pas seulement celles liées à l’orientation sexuelle, mais aux personnes souffrant de troubles mentaux et physiques, aux personnes aînées, en étant dans l’accueil plus que dans la défense et la préservation de privilèges sans aucun fondement, sans aucune valeur. 

    J’imagine alors ce que peut vivre aujourd’hui celle ou celui LGBTQ venant d’une autre culture qui doit en plus être confronté.e à toutes les formes de discrimination liées à ses origines, à la couleur de sa peau. Et cet étrange étranger sait très jeune qu’il est bien loin en arrière de la ligne de départ dans la vie. Elle ou il sait qu’il devra courir deux fois plus vite et franchir des obstacles que n’auront pas sur leur chemin les autres coureurs généralement blancs et hétéros partis devant eux. Un véritable parcours du combattant. 

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